La SNCF raccroche les wagons du zéro déchet

Le 13 juin, Futur.e.s réunissait plus de 120 de personnes autour de la conférence « Zéro déchet is the new black ! Construire la ville durable », preuve que les efforts de recyclage, d’économie circulaire des matériaux de construction et d’exploitation sont devenue pierres angulaires des territoires durables.

La question dépassant largement les fructueux échanges lors du festival, poursuivons donc la discussion avec un autre acteur inattendu du zéro déchet à l’échelle des territoires : en effet, fin juin, quelques jours avant la canicule imputée au changement climatique, la SNCF annonçait vouloir mettre fin à ses émissions de gaz à effet de serre et ne plus produire de déchet d’ici 2035. Un objectif loin d’être neutre pour un groupe aussi tentaculaire que la SNCF. S’il tente toujours “de nous faire préférer le train”, il construit aussi nos villes, avec notamment sa filiale AREP, plus grande agence d’architecture en France.

Regards croisés sur un sujet au croisement de notre quotidien, des sujets Futur.e.s et d’une actualité brûlante, avec deux acteurs clefs du groupe SNCF sur ces questions : Sophie Chambon, Directrice RSE et Développement Durable du Groupe SNCF, et Louise François, référente Qualité Environnementale du bâtiment chez AREP.

La SNCF s’engage à neutraliser ses émissions de gaz à effet de serre et de particules fines et à atteindre un objectif « zéro déchet » d’ici 2035. (Crédit photo : Eric Cabanis – AFP)

Fin juin, la SNCF a fait une grande annonce : objectif zéro déchet et zéro émission de gaz à effet de serre pour 2035 et 2050. Lorsque l’on prendra le train, qu’est-ce qui changera ?

Sophie Chambon : Le grand public ne le sait pas, mais depuis des années, la SNCF est très impliquée dans l’économie circulaire et le réemploi de matériaux. Dans la région de Carcassonne par exemple, lorsque vous prenez le train, vous roulez déjà sur des lignes rénovées grâce à notre politique du zéro déchet.
Concrètement, nous avons enlevé une partie des rails et traverses [pièces posées sur les rails] sur une première ligne ferroviaire en chantier, et nous avons ensuite réemployé ces matériaux sur la ligne Carcassonne – Limoux, elle-même en cours de rénovation. Evidemment les exigences de sécurité sont les mêmes que pour du neuf. Le grand avantage de ce système est qu’il nous a permis de doubler le nombre de voix de chemin de fer renouvelées dans cette zone ! Notre engagement est donc ancien mais la nouveauté, c’est notre volonté de passer à l’échelon supérieur. Nous voulons faire du réemploi une véritable industrie.
Pour vous donner un chiffre, nous réemployons aujourd’hui 15% de la totalité des rails que nous remplaçons. C’est insuffisant, nous voulons aller beaucoup plus loin pour renouveler non seulement nos infrastructures mais également les bâtiments. Vous savez, la SNCF est le deuxième propriétaire foncier de France !

Justement, le BTP reste le plus gros producteur de déchets en France et en Europe. Or, en plus d’être un grand propriétaire foncier, la SNCF détient dans ses filiales la plus grande agence d’architecture de France, AREP, où vous travaillez Louise. Comment applique-t-on le zéro déchet dans une structure aussi grande ?

Louise François : Dans les grands groupes, il y a souvent un département développement durable qui définit la stratégie environnementale de l’entreprise tout en étant généralement décorrélée de l’opérationnel. Chez AREP, au contraire, tout est connecté. Je suis moi-même référente environnement dans les équipes opérationnelles. Cela signifie que je les accompagne au jour le jour pour intégrer des mesures environnementales, dont le zéro déchet, dans nos projets.
Nous avons une autre spécificité qui s’appelle RÉAP. C’est une plateforme de réemploi de matériaux que je développe en équipe depuis un an. Notre but principal est de cartographier tous les projets menés par notre agence d’architecture, tous les acteurs impliqués et tous les matériaux utilisés, afin de tous les connecter. Nous l’utilisons depuis septembre 2019 pour différents projets, dont un chantier pilote, la gare de Saint Denis en région parisienne. Un bâtiment va être démoli, une nouvelle gare va être construite. Notre objectif est de faire le pont entre le deux pour récupérer un maximum de matériaux localement !

Mais si vous remettez à neuf les matériaux, vous générez aussi de la pollution ?

L. F. : Sur ce sujet, tout le monde débute, il n’existe pas de solution toute faite mais c’est aussi ce qui est excitant ! Dans certains cas, aucune transformation ou presque n’est nécessaire. C’est par exemple le cas de pierres naturelles qu’on récupère sur le parvis de la gare Saint Denis. Sans doute faudra-t-il les nettoyer, mais pas plus. En revanche, si l’on veut récupérer certaines parties de l’ancien bâtiment comme une charpente bois, des menuiseries, c’est plus complexe. Peut-on les découper et en faire un usage différent ? Nous y réfléchissons.

Si demain je refais mon appartement et qu’il me reste du parquet, pourrai-je le mettre à disposition sur REAP ?

L. F. : Non, cette plateforme n’est pas pour les particuliers, le projet serait trop gros.

S. C. : Initialement, le projet devait uniquement servir l’activité d’AREP. Mais je l’ai personnellement poussé à s’ouvrir à toute l’activité circulaire du groupe SNCF. Je vous donne un exemple, si notre branche qui s’appelle « SNCF réseau » annonce, sur cette plateforme, qu’elle a extrait quelques tonnes de rails à un endroit X, un chantier de rénovation d’une gare se trouvera peut-être à proximité. Si les architectes d’AREP vont sur la plateforme et qu’ils cherchent précisément des poutres métalliques, plutôt que d’acheter du matériel neuf, pourquoi ne pas utiliser ces rails et les transformer ? Donc notre ambition est transversale mais interne à la SNCF.

L. F. : Si l’on arrive déjà à appliquer le réemploi sur tous les projets SNCF, ce sera génial ! A terme, il faudrait discuter avec les autres plateformes de réemploi en France. Travailler tous ensemble est important parce que nos objectifs sont communs. Je vois cette plateforme comme est un point de départ. On aimerait par exemple lui ajouter des fonctions plus techniques comme intégrer le réemploi dans les maquettes BIM [maquette numérique des bâtiments].

Chantier rail-route de Valenton (Crédit : Ville de Bonneuil)

Vous parlez du zéro déchet dans les phases de construction et déconstruction, mais le plus efficace n’est-il pas d’agir dès la construction, en inventant des éco-matériaux par exemple ?

L. F. : Oui ! A Nîmes, par exemple, nous créons une gare avec un mur en béton de terre pour limiter l’impact environnemental du ciment. On ne le dit pas assez mais ce matériau a un impact environnemental colossal. Sur place, nous avons pris et trié de la terre puis nous l’avons mélangée à minima avec le ciment. Ce n’est pas l’idéal mais nous poursuivons nos recherches pour étudier et optimiser cette solution. Dans le même esprit, nous développons un béton de chanvre.

Du chanvre !

L. F. : L’avantage du chanvre est qu’il apporte une performance thermique au bâtiment très intéressante. Le principe, qu’il s’agisse du béton de terre ou de chanvre, est identique. Nous remplaçons par d’autres matériaux les granulas de sable car sa consommation est une vraie problématique ! C’est la deuxième ressource la plus utilisée sur la planète après l’eau et le BTP est son premier consommateur. Pour faire du béton, impossible d’utiliser du sable du désert car les grains sont trop roulés et n’accrochent plus. Résultat, le sable marin est surexploité, des îles disparaissent, sur certaines plages d’Indonésie il n’y a plus de sable, soit parce qu’il est parti renflouer nos plages, soit parce qu’il est utilisé par le BTP.

Mais comment expliquer au grand public que ces recherches en éco-matériaux, votre politique zéro déchet, ne se limitent pas à du greenwashing ?

L. F. : Tout simplement parce que nos actions sont identifiables et vérifiables sur le terrain. J’en profite pour faire une digression. Un des points qui me semble important pour éviter le greenwashing, c’est de faire attention à la terminologie employée. Quand on parle de réemploi et de recyclage, dans les deux cas, on parle de « revalorisation des déchets ». Or, les deux impliquent des actions très différentes : avec le réemploi on va dépenser moins d’énergie même si on transforme à minima le matériau, avec le recyclage, on va faire fondre du verre, de l’acier, et émettre beaucoup plus de CO2. Pourtant, on peut facilement dire : « j’ai fait de la valorisation des déchets sur mon chantier », alors qu’on a tout mis à brûler à deux mille degrés. Bien sûr, c’est mieux que d’enfouir ses déchets, mais ce n’est pas l’idéal. Donc je pense que les entreprises doivent être plus fermes sur les termes employés et que le grand public soit très attentif au vocabulaire. Il pourra ainsi identifier les projets véritablement exemplaires et ceux qui font semblant.
A mon niveau, je constate un changement massif sur l’environnement dans le secteur du BTP. Et le grand public est devenu ultra sensibilisé, les entreprises doivent montrer qu’elles agissent. Alors quand on est la SCNF, on a un devoir d’exemplarité.

En parlant d’exemplarité environnementale, comment est-il encore possible en 2019 que le train soit plus cher que l’avion alors qu’il pollue moins ?

S.C. : Le train est effectivement le transport avec le plus faible impact pour l’environnement : il est responsable de 0,6% des gaz à effet de serre et 2,5% des particules fines émis par le secteur des transports. C’est encore trop mais toutefois extrêmement faible.
Votre question est biaisée. Vous évoquez le coût porte-monnaie mais vous oubliez le coût de la santé publique, le coût de la pollution -50 000 morts prématurés par an à cause des particules fines*, le coût du réchauffement climatique, le coût des cataclysmes etc. et là …. On change d’unité de mesure. Bien sûr, même si le prix du train est déjà largement subventionné je pense qu’il existe une responsabilité de la SNCF à proposer des tarifs, dans certains cas, plus accessibles. Mais regardez les Ouigo ! Un Paris Marseille à 29€, n’est-ce pas un prix attractif ? Alors oui, il faut accepter d’organiser ses déplacements autrement : prendre un train tôt le matin et réserver son billet quelques semaines à l’avance ! Je pense que le citoyen doit prendre, lui aussi, ses responsabilités. C’est comme le bio, on rêve qu’il soit accessible mais à un moment donné, il impossible d’éviter un petit effort pour réunir à la fois nos convictions et notre pouvoir d’achat. Acheter, consommer reste un acte citoyen.
Si je prends mon propre exemple, j’ai choisi de prendre les transports en commun tous les jours, alors que je pourrai prendre ma voiture. Je perds une demi-heure mais ce n’est pas du temps perdu, c’est du climat gagné pour tous les citoyens. Donc il n’est pas étonnant que la majorité des consommateurs arbitrent encore leurs choix en fonction du prix et du confort mais il va devenir urgent de les faire différemment.


*Etude de santé publique France (21.06.2016)
Image de couverture : GARE SNCF DE MARSEILLE SAINT-CHARLES crédit Bertrand Langlois AFP