Transmediale 2016: Un rendez-vous qui démange

TRANSMEDIALE : Annual festival concerning the role of digital technologies in contemporary society.

La Transmediale sait brouiller les pistes. Elle se qualifie “festival”, mais cache derrière ce terme le rendez-vous pointu d’une communauté qui s’interroge. Sous ses airs de célébration de la culture des hackers-artistes-makers, elle questionne moins les bricoleurs 2.0 que ceux qui (dé)font la loi dans l’ère du capitalisme post-numérique (postdigital). Loin d’être une fête de l’imprimante 3D et du prototypage ou un festival d’installations interactives monumentales, la Transmediale est un temps pour suspendre l’effervescence du monde actuel et mettre sur la table les questions qui dérangent/démangent. On était au rendez-vous pour la 29ème édition, on vous raconte.

Post-what ?

Pour comprendre la Transmediale, il faut comprendre ce que cache le terme post-numérique / postdigital. On pourrait se limiter au sens de “après le digital” ou “au delà du digital”, mais ce serait s’arrêter à mi-chemin. Le post-numérique désigne un monde où le digital dépasse la sphère du simple “agent de changement” ou gadget. Nous vivons maintenant dans un monde où le numérique est totalement intégré à notre quotidien. Plus que cela, il est maintenant l’objet d’un désenchantement : surveillance, big data, précarité, drones de guerre, mobiles omniprésents, tracking, géants mondiaux,… Comme la thème Afterglow de l’édition 2014 du festival le signifiait : “The digital revolution was a dinner party but its afterglow is not”.

Sur-vaillance

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Kristoffer Gansing © Transmediale

Au coeur de l’édition de l’an dernier, la surveillance (Capture All) est restée omniprésente dans l’édition 2016. Snowden est sur toutes les bouches et la NSA dans toutes les têtes. En guise d’introduction à la conférence Five Years After sur la révolution Égyptienne et la coupure d’internet, le directeur artistique du festival Kristoffer Gansing explique que cette “high level conversation” ne sera pas filmée pour raisons politiques et parce que cela mettrait en danger les intervenants. Le ton est donné.

Avec notamment l’exemple de Speak to Tweet, service permettant de tweeter sans internet via un simple message laissé sur une messagerie vocale, les speakers soulèvent les questions les unes après les autres : Qui décide de l’accès à internet ? Internet est-il une plateforme démocratique ? Comment se rassembler sans internet ? Avons-nous le contrôle de nos propres archives ? Que nous cachent les moteurs de recherche ? Quelle valeur pour une archive numérique ?

Small data & Slow data

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Le hall de la Haus Der Kulturen Der Welt © Transmediale

Au coeur de la conférence Anxious to Secure, c’est la question du pré-crime (predictive profiling) qui est abordée. Sensiblement comme dans Minority Report, oui, c’est la prétention de services de surveillance actuels à détecter les criminels avant qu’ils ne passent à l’action. Passionnant sur la question, David Lyon aborde la question sous l’angle du big data et formule des alternatives. Face à cette surveillance diffuse (“liquid surveillance”) qu’il accuse coupable de discrimination, voyeurisme et d’érosion sociale, il propose un retour au “slow data / small data / selected data”. Pour lui, aux trois V du big data (“velocity, volume, voracity”) doivent être opposés un droit à une surveillance de protection (“surveillance of care”) pour les individus et non contre eux. Chacun d’entre nous peut à son échelle travailler à ce que les organisations dans lesquels nous oeuvrons changent leur politique en ce sens.

Un discours qui semble tout droit mener à la théorie de la sous-veillance de Steve Mann : le peuple doit surveiller ce qui se passe au dessus de lui.

État de l’art

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Hatsune Miku, Still be there © CTM Camille Blake

Avant tout positionné comme un rendez-vous d’artistes, la transmediale fouille les peurs qui nourrissent les pratiques et créations de ces derniers, dont beaucoup trouvent dans les réseaux numérique la matière première de leur art.

Mais loin d’être totalement pessimiste, la transmediale sait aussi ouvrir des portes et des horizons. Ainsi a-t-on pu assister à des échanges sur l’essor de l’“openness” (logiciel libre, technologies ouvertes…) qui révolutionne les manière de concevoir et qui annonce l’arrivée de Future Factories. Autre temps fort, une rencontre The Persistence of the Labs, ou la présentation du jeu Californium par ARTE Creative, qui nous plonge dans la réalité délurée de Philip K. Dick.

Ainsi les quatre fils rouges du rendez-vous (Anxious to share, Anxious to make, Anxious to secure et Anxious to act) ne signifient pas seulement une peur mais une impatience nerveuse d’agir.

Le festival compte également quelques performances qui posent l’individu dans une position volontairement ambiguë et le forcent à s’interroger. Ainsi du concert de l’hologramme d’Hatsune Miku, Still be There. Sous ce nom et sous l’apparence trompeuse d’une jeune fille de 17 ans aux cheveux bleus se cache en fait l’inattendue interface humanoïde du logiciel de synthèse vocale développée par Crypton Future Media.

Pendant l’heure de show mi-concert mi-documentaire au format inédit, on est à la fois fasciné et terrifié à mesure que son corps est incarné/désincarné.

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La Haus Der Kulturen Der Welt © Transmediale

Regroupant la crème de la crème du milieu artistico-numérique, la transmediale accueille dans la coquille d’huître de la Haus der Kulturen der Welt les questions les plus chaudes de l’ère post-numérique. Comme l’indique tout particulièrement le nom de l’édition 2016 – Conversationpiece – c’est sur le ton de la conversation que s’échangent les opinions : il n’est évidemment pas question d’inviter un géant américain de la surveillance pour débattre et convaincre, mais d’échanger entre individus partageant les mêmes préoccupations. Seuls contre tous ? L’idée est davantage de se sensibiliser, s’ouvrir les yeux, se rassurer ensemble, pour pouvoir mieux collaborer et lutter pour un monde plus juste, le tout faisant de la transmediale un temps d’échange à haut voltage.

La volonté exprimée par la transmediale de questionner le format des conférences vers plus d’échanges (conversationpiece) semble prendre place dans une tendance plus large : les modèles traditionnels des keynotes / conférences semblent avoir épuisé leurs ressources et leurs publics. Ne faut-il pas varier/bouleverser nos modes de prise de paroles ? Inviter à davantage d’interaction ? Tenter de faire tomber le mur entre la salle et la scène ? Autant de questions que Futur en Seine défriche de son côté, et dont les conclusions nourriront sûrement l’organisation de la 7ème édition du festival en juin prochain.

 

Millie Servant, communication web – Futur en Seine

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