Yves Tyrode, directeur général en charge du digital du Groupe BPCE – 2ème groupe bancaire en France – a en charge le plan digital du groupe et plus précisément l’accélération de la transformation digitale pour les clients et les collaborateurs. Son credo : faire simple pour faciliter les usages et le quotidien bancaires de chacun.
En tant que représentant du digital d’un grand groupe bancaire, partenaire de la 9e édition du festival Futur e.s., nous avons posé trois questions à Yves Tyrode autour d’un des thèmes majeurs du festival de cette année « Vivre et travailler avec l’intelligence artificielle ».
Yves Tyrode, 78 % des banquiers pensent que l’IA permettra des interfaces utilisateurs simplifiées et une expérience client plus humaine (étude Accenture 2017). Le Groupe BPCE (Banque Populaire – Caisse d’Epargne) partage-t-il ce point de vue ?
Yves Tyrode : Dans le cadre de notre plan digital, nous avons pour objectif majeur d’accompagner l’ensemble de nos clients dans leurs nouveaux usages et leur permettre de consommer la banque d’une manière plus efficace pour eux. C’est pourquoi nous donnons la priorité au mobile. Nous sommes mobile first !
Dans cet objectif, l’IA est utile pour exploiter les historiques clients afin de mieux les servir et les satisfaire. Grâce aux nombreuses données ainsi recueillies, nous sommes en capacité de leur offrir des services et des offres commerciales personnalisés et des processus améliorés et simplifiés.
Au sein du Groupe BPCE nous utilisons énormément d’algorithmes. Avant on appelait ça des « modèles » maintenant nous parlons plus communément d’intelligence artificielle en ce sens où ces algorithmes produisent – reproduisent – un comportement « intelligent ». Aujourd’hui ce nouvel outil technologique que représente l’IA connait un véritable engouement auprès des entreprises et ce mot est parfois galvaudé et peut prêter à confusion. Il faut faire attention à ce que nous mettons sous ce terme d’Intelligence Artificielle !
Pour « faire simple », vous êtes plutôt data ou IA ?
Il n’y a pas d’IA sans data. Ce qu’on appelle aujourd’hui intelligence artificielle est, in fine, une technologie relevant essentiellement du Big Data.
Le digital c’est de l’expérience client avec des process et de la technologie. Mais ce qui est au cœur – le carburant du digital – c’est la data. La data est notre infrastructure.
Avoir de la data est important mais posséder de la data de bonne qualité est essentiel. Prenons un cas concret : si on n’a pas le téléphone de nos clients ou un numéro erroné, on ne peut pas lui donner accès au nouveau service d’authentification forte « Sécur’Pass » que nous venons de lancer pour sécuriser de manière simple leurs opérations bancaires sensibles (comme l’ajout d’un nouveau bénéficiaire pour effectuer un virement ou faire un virement à l’étranger). C’est un exemple très concret !
Plus globalement, le Groupe BPCE est aussi la première banque européenne présente sur l’open data. Nous parlons ici des données publiques, bien sûr, que nous rendons accessibles au grand public, via une plateforme technologique dédiée et cela gratuitement. A date, ce sont 70 jeux de données qui sont en libre accès (la localisation de nos distributeurs automatiques, des données financières, mais également des études que nous avons menées autour de l’implantation des entreprises à l’étranger …).
Autre projet, qui donne au groupe une grande visibilité auprès des utilisateurs de la data : la publication du code source d’un algorithme de prédiction d’événements rares dans la librairie open source Scikit Learn – la plus utilisée dans le monde par les data scientists. Cet algorithme unique, permet de suivre le processus de décision qui amène d’un point A à un point B. Nous avons choisi d’être en open source car nous avons la conviction que cela permet de travailler de manière intelligente et constructive avec une large communauté pour améliorer le système. L’open source est communautaire, plus fiable et nous maîtrisons mieux notre technologie. Sans compter que l’open source nous permet de ne pas avoir de dépendances – ou très limitée – à des tiers.
L’apparition de l’intelligence artificielle dans notre quotidien et dans l’entreprise soulève la question du traitement des données. RGPD un frein ou une opportunité ?
Quand on parle data, on ne peut pas faire l’impasse sur la nouvelle réglementation relative aux données personnelles (RGPD). Ce n’est pas un point sur lequel nous pouvons transiger : c’est une obligation. C’est dans notre culture d’être prêt à respecter la réglementation. La question est alors de savoir comment dans ce contexte réglementaire, nous pouvons utiliser l’intelligence artificielle.
Nous avons pour mission de gérer beaucoup de datas qui sont celles de nos clients et quand nous les utilisons, nous le faisons pour nos clients, nous ne les commercialisons pas. Notre modèle économique n’est pas la monétisation de nos datas, c’est de vendre des services qu’on construit avec ces datas pour mieux satisfaire nos clients. Notre particularité est d’être « privacy by design » ou « RGPD by design ». C’est-à-dire que, dès que nous faisons de nouveaux produits, de nouvelles évolutions ou fonctionnalités pour nos applications bancaires, nous intégrons la Conformité dès la conception du service. Nous faisons du coworking. Nous regardons en amont comment être conforme. N’oublions pas que notre mission, qui est d’ailleurs régulée, est de protéger les datas de nos clients. Le Groupe BPCE utilise 20 000 données dont 300 sont au cœur de la génération de valeur. Il en va de la relation de confiance que nous construisons avec eux. Cette relation privilégiée est un des piliers fondamentaux de notre métier.
Nous possédons 15 millions de clients actifs Banques Populaires et Caisses d’Epargne avec lesquels nous avons des interactions journalières et à peu près 140 millions de visites mensuelles sur nos espaces digitaux, dont à les 2/3 sur le mobile. Aujourd’hui ils veulent pouvoir consommer la banque avec la même simplicité et les mêmes règles d’ergonomie que les applications qu’ils utilisent quotidiennement sur leur mobile. Et aujourd’hui, notre formidable objectif est de pouvoir lier ergonomie et sécurité pour répondre et anticiper les besoins de nos clients.
Mais la data est avant tout au cœur de la vie des gens. Il faut éduquer l’ensemble des acteurs en liens étroits avec la data et je crois qu’on a tous un rôle dans cette éducation. Il faut former ceux qui font les lois, les collaborateurs des entreprises – ce que nous faisons régulièrement chez le Groupe BPCE, par exemple en organisant des séances de formation pour l’ensemble des patrons des banques et des caisses régionales sur l’IA ou la data, et éduquer les utilisateurs, bénéficiaires finaux des nouvelles technologies.
Par exemple, nous avons lancé un service de crédit en équipement professionnel pour lequel nous avons digitalisé le process et fait de la data en définissant des critères de scoring permettant de dire quels sont les clients qui ont besoin de ce service et quel est le montant dont ils auraient besoin. Grâce à ce nouveau service, les clients ont ainsi la possibilité d’activer eux-mêmes, notamment depuis leur mobile, un transfert d’argent à partir de leur enveloppe de crédit accordée.
J’ai pour rôle de faire que le digital soit l’affaire de tous les collaborateurs, pour le bénéfice de tous nos clients et que ce ne soit surtout pas l’apanage des experts…