Entre Jugaad et Open Source, quels modèles d’innovation en Afrique ?

L’innovation africaine a de multiples visages : qu’elle soit vernaculaire ou collaborative, low tech ou numérique, le continent a développé des écosystèmes tech qui lui sont propres. Pour faire face aux enjeux économiques et environnementaux, l’Afrique doit ancrer la question durable dans son développement. Pour cela les échanges de connaissances et solutions semblent nécessaires et Futur.e.s in Africa représente un lieu de rencontre pour confronter des visions différentes de l’innovation et de réponses aux problématiques à venir.
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L’Afrique se distingue des autres continents par sa façon de s’emparer de l’innovation technologique. La révolution numérique n’y est pas tant caractérisée par la technologie sur laquelle elle s’appuie que par les tarifs abordables pratiqués dans ce domaine, la facilité d’accès aux appareils et, jusqu’à récemment, une demande largement inexploitée. Autant de facteurs qui ont permis le saut technologique que connaît l’Afrique.
Face à cette vague d’innovations, l’Afrique présente un grand avantage par rapport aux autres continents : tout est à inventer, que ce soit le modèle de développement des entreprises, le type d’innovation ou encore les modes de réponses aux besoins du continent. Dans un contexte d’accélération démographique, l’Afrique représente un marché tech que la croissance exponentielle rend extrêmement attractif. De nombreux marchés se développent à vitesse grand V. Le secteur de l’innovation est en pleine expansion, les start-up africaines se détournent des modèles occidentaux et autres calques de la Silicon Valley pour s’ancrer davantage dans l’économie de partage et l’innovation profitable.

Devanture d’un magasin m-pesa au kenya

L’Afrique, nouveau centre de l’économie tech ?

En 2050 l’Afrique sera le continent le plus peuplé au monde avec 4,4 milliards d’habitants. Cette population ferait pencher la balance de l’attractivité en faveur du continent, qui sera alors l’enjeu majeur des marchés de par sa taille après avoir été si longtemps boudée par la mondialisation.
L’Afrique présente un potentiel de développement important dans le secteur du numérique, malgré son retard en termes de valeur ajoutée réalisée par les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et de création de start-up. Le manque de dispositifs d’accompagnement et de financement, la faiblesses des systèmes éducatifs, la corruption, les barrières administratives à la création d’entreprises, le peu d’accès aux infrastructures de télécommunications sont autant de freins au développement des entreprises. Il est impossible de résumer tout le continent africain à un seul modèle économique. Les pays d’Afrique du Nord tels que le Maroc sont encore considérés comme émergents, bien que le secteur des TIC y soit relativement développé et que les initiatives urbaines se multiplient. A contrario l’Afrique du Sud est un écosystème à part, puisque son tissu entrepreneurial est déjà très développé. De plus, ses liens étroits avec la Chine font du pays un puissant marché particulièrement attractif pour l’investissement.
Les pays d’Afrique de l’est anglophone, comme la Tanzanie ou le Kenya sont déjà implantés dans le marché de l’innovation et possèdent un solide écosystème composé d’incubateurs et de nombreuses start-up. Dès 2005, des sociologues kenyans observent que la population échange du temps de communication comme moyen de paiement, ce qui est corrélé au très faible taux de bancarisation. C’est ainsi qu’est né M-Pesa, un système de paiement via SMS. M-Pesa connaît un succès immédiat et place le Kenya sur la carte mondiale de l’innovation. Cet exemple du leapfrog africain est reconnu pour avoir des retombées très positives pour le pays; notamment une croissance inclusive via la création d’emploi et le développement d’une économie de service qui demeurait jusque là informelle. La révolution de la téléphonie mobile est à l’origine des changements dans la vie de nombreux africains, fournissant non seulement des télécommunications, mais également un accès à des services financiers de base dont ils étaient exclus pendant des décennies. Dans certains pays il est plus aisé d’avoir un mobile que l’eau potable ou l’électricité. 

crédit photo : Africa GreenTec

Un modèle d’innovation africain ?

Frugal, agile, résilient, circulaire… L’entrepreneuriat africain a acquis en une dizaine d’années une réputation d’innovateur tenace, nouvelle référence d’une innovation plus responsable.
Se détournant du modèle de la Silicon Valley, très gourmand en ressources et en énergie, l’Afrique présente des modèles d’innovation répondant aux contraintes locales. De ces contraintes sont nées des innovations plus frugales, qui s’ancrent dans la low tech et dans l’open source, davantage engagée au service des communautés. Un exemple : au Kenya, l’accès à l’électricité représente un coût très élevé pour la plupart des foyers, aussi la start-up kényane M-Kopa a mis en place des panneaux solaires à usage domestique auxquels les familles accèdent via des prêts locatifs. Au terme d’un an les foyers ont acquis un panneau solaire, sont devenus autonomes en énergie, et l’argent économisé encourage le pouvoir d’achat des familles qui peuvent alors réinvestir leurs deniers. Le principe d’open source, intrinsèque aux modèles d’innovations africains, questionne le droit à la propriété intellectuelle et les modes de rémunération de l’innovateur, ce qui va à l’encontre des codes culturels européens. Se détacher de ce principe permet le libre accès aux innovations, et une plus grande flexibilité du système concernant la production d’un objet.
Une seconde caractéristique de l’innovation africaine : la sobriété numérique. Un élément souvent considéré comme essentiel pour envisager des horizons désirables. Cela s’inscrit dans la continuité de ce que nomme l’économiste indien Navi Radjou “l’innovation frugale”, soit le principe de faire mieux avec moins. La rareté des ressources, qu’elles soient économiques, matérielles ou humaines représente pour lui une opportunité d’innover de manière plus cohérente avec les besoins locaux des populations. Pourtant l’innovation frugale telle que la dépeint Navi Radjou n’est pas la panacée et n’apporte pas une réponse à tous les défis que rencontre le continent…


Un exemple de Tryctor au benin

Les territoires durables, la clé de l’innovation coopérative

Si la croissance démographique de l’Afrique est une véritable force économique, c’est également un gigantesque défi écologique. Les experts du GIEC s’accordent pour dire que l’Afrique sera le continent le plus touché par les changements climatiques. Les premiers effets se font déjà sentir, comme à Agadir, au sud du Maroc, où l’eau des nappes phréatiques tend à disparaître, menaçant les productions agricoles de la région.
Au Sénégal, un million de pêcheurs artisanaux se retrouvent au chômage technique à cause de la raréfaction des poissons.
Outre les problématiques écologiques, le continent fait face à des enjeux aussi divers que les pays qui le composent, que ce soit le manque d’infrastructures, le besoin d’amélioration des services aux usagers, de l’accès aux soins ou encore de la corruption. Les modes de réponses diffèrent et font émerger des modèles d’innovation variés : pour contrer le manque d’infrastructures sanitaires, le béninois Valentin Agon a créé Api-Palu, un médicament antipaludéen développé à partir d’extraits de plantes. Pour faciliter l’agriculture, le nigerien Alufei Odeleye a mis au point le Tryctor, une moto avec les mêmes fonctionnalités qu’un tracteur à échelle plus réduite. 


Futur.e.s in Africa 2018 – siège de la Region Casablanca-Settat, Casablanca

Répondre aux problèmes structurels de l’Afrique implique que les acteurs de l’innovation puissent se rencontrer pour mener une réflexion de fond. Ce qui permettrait d’anticiper les besoins mais aussi les effets pervers de la tech. C’est pourquoi Futur.e.s in Africa peut être considéré comme un lieu de croisement des discours, des idées. L’objectif du festival est d’être un carrefour pour les différents modèles d’innovation, qu’ils soient intra pays africains ou avec l’Europe, pour un échange de savoirs et de solutions. Futur.e.s in Africa est l’occasion de questionner les systèmes existants et de construire ensemble des Futur.e.s plus désirables et durables. 

>>> Rendez-vous le 29 octobre à Casablanca pour continuer les échanges ! <<<

Image de couverture : Crédit © SARAO (South African radio Astronomy Observatory)