2017 : Lift fait sa mue
Après 11 années de talks réunissant les speakers parmi les plus inspirants de la scène innovation internationale, la conférence phare de Genève a senti l’urgence de se réinventer, et de laisser plus de place à la créativité collective. L’occasion était trop belle: Futur en Seine a voulu être de cette première aventure du Lift:lab, et comme les 30 équipes internationales inscrites à cet évènement, passer d’un mode spectateur qui reçoit les idées, à un mode acteur qui les prototype. Notre sujet ? Réinventer les conférences.
Le futur des conférences
La question nous trotte dans la tête depuis déjà un moment, tandis que nous préparons activement la 8e édition de Futur en Seine : pourquoi organiser des conférences à l’ère de Youtube, alors qu’il est si facile de trouver en ligne l’information et les connaissances, de visionner un talk d’Elon Musk en 2 clics et sans avoir à se déplacer ou payer pour cela ? Quelle est la vraie valeur d’un évènement tech, quand des centaines d’autres similaires ont lieu chaque année dans le monde, en France, à Paris?
Sur cette problématique du « knowledge sharing », Futur en Seine a proposé à Ouishare , Convergences, Alternatiba Léman, thecamp, Bloom & Boom et TedX Cern de conjuguer leurs esprits créatifs, au bord du lac Léman, pour réfléchir aux conférences de demain.
Au programme : deux jours et demi de workshop dans le Palais des Congrès genevois revisité façon bohème par des poufs, des espaces »chill » et « maquettes », du matériel de prototypage du sol au plafond et les cabanes colorées construites par les 30 équipes comme « camp de base » de leur réflexion.
Codesignit, co-organisateur avec Lift du Liftlab17, propose une méthode inédite, déstabilisante, énergique. Mot d’ordre de la launching session: “si vous vous sentez perdus, c’est normal”. Pas de parcours défini de design thinking : chaque équipe compose son propre cheminement sur 2,5 jours avec des sessions idéation, prototypage en tout genre (lego, maquette d’espace, video), test… A disposition, mobilisable à tout moment, une vingtaine d’experts en entrepreneuriat, financement, design, graphisme, futurologues…Enfin, en ouverture et en fermeture des journées, des moments collectifs d’inspiration sous forme de keynote et de brief ou debrief (sans oublier la légendaire soirée fondue à 250)
1er jour : Engagement
Si la grande diversité de nos évènements rend notre réflexion complexe, nos expériences respectives, lui permettent, conjuguées, d’être vraiment riche. Dès la fin de la première demi-journée, nous tournons autour d’une idée clé : l’engagement, résultat d’une première session idéation, qui décrit à la fois l’esprit et l’objectif du nouveau format de conférence que nous voulons concevoir et prototyper durant LiftLab.
Engagement signifie pour le groupe la volonté d’engager les participants plus activement dans nos événements. Nous ne voulons plus cantonner nos publics dans une posture d’écoute passive, mais au contraire, les engager dans une expérience qui les mobilise dans tout leur être, toute leur intelligence. En effet, organiser des événements, c’est rassembler des gens physiquement dans un même lieu : pourquoi ne pas se saisir de ce que cela implique? Cette dimension n’existe pas quand vous vous connectez en ligne, et va au -delà du simple networking, en répondant aussi à une attente de faire communauté, quelque chose de quasiment spirituel. Il n’y a qu’à regarder des vidéos de Burning Man pour s’en rendre compte.
La valeur de tels moments de rassemblement est de créer les conditions d’une émergence. Nous décidons que le nom de code de notre “conférence du futur” sera “Momentum”.
“Engagement” décrit aussi le produit de notre événement, qui doit être pour le public une expérience transformatrice, politique. La valeur de tels moments de rassemblement est de créer les conditions d’une émergence : de nouvelles idées, de projets, d’associations, par la rencontre. A l’issue de leur participation à nos événements, nous espérons que le public décide de s’engager : pour une cause, pour un changement de vie… Nous décidons que le nom de code de notre “conférence du futur” sera “Momentum”.
Toutes ces idées couchées sur des sticky notes, nous prototypons enfin pour explorer concrètement toutes les opportunités d’engagement au sein d’un parcours “visiteur”, de la communication en amont jusqu’à ce que chacun peut en retirer et comment il peut s’engager à son tour après l’événement.
2e jour : Radicalité
Afin d’être à la hauteur de l’ambition d’engager le public, le groupe doit inventer des formats d’événements plus radicaux. La session d’idéation qui suit est décevante. Nous listons des formats que nous connaissons déjà. Open stage, crowdfunding live….créent des dynamiques d’interaction et de contribution qui fonctionnent mais que nous avons tous testés dans nos événements, que ce soit à OuiShareFest ou à Futur en Seine.
La contribution de Rémi Sabouraud (Codesignit) est déterminante pour débloquer la créativité de notre groupe et trouver la radicalité de ton et de forme que nous cherchons à impulser dans nos événements. Nous écoutons attentivement la consigne en forme de question “Pour quel événement vous feriez-vous virer ? “ Nous avons tous la chance d’avoir des employeurs larges d’esprit. L’exercice demande un effort réel pour imaginer ce qui serait considéré inacceptable, mais aux esprits débridés par la fondue et le chocolat suisses, rien d’impossible. A la timide et attendue « une conférence naturiste? », succèdent mille idées extravagantes et les sticky notes s’accumulent sur le tableau blanc:
- Les cabines pour faire du sexe pendant les conférences (oui. Débridés nous sommes)
- La conférence Lalaland où tous les intervenant(e)s s’expriment en chantant
- The last standing game, la conférence où on tue les gens qui sont contre nous
- Le surprise speaker, à l’opposé de celui ou celle qui était annoncé
- La conférence sur le rien – sans sujet ni intervenant(e)s
- L’exclusion conference
- La conférence anonyme, où l’identité des intervenant(e)s est gardée secrète car considérée comme non pertinente
- La conférence Babel, où toutes les langues sont parlées, sans traduction
- La conférence $, où les intervenant(e)s comme les participant(e) affichent combien ils gagnent
- La conférence où le public peut dormir
- La conférence où on distribue de l’argent au public
- La conférence sans intervenant(e)s
- La conférence sans public
- La conférence où on a le droit de dire “ta gueule”
- La conférence “Get physical” où les expériences physiques ponctuent les prises de parole
- Etc.
Après ce temps d’idéation, nous utilisons la balise “Prototype a space” afin de traduire dans l’espace, sous forme de maquettes, trois propositions.
- La” get physical” conference : l’événement est construit comme un parcours, où les sessions plus passives avec les speakers alternent avec des activités physiques, sensorielles, collectives, jouant avec nos différents types d’intelligences humaines. Nous ne sommes pas que des cerveaux! Notre corps peut jouer un rôle dans l’apprentissage, la compréhension des problématiques, la sensibilisation.
- La conférence sur le rien: pas de speakers, pas de discours. Cette conférence propose de conclure un cycle de talks classiques par une expérience proche de la méditation, sans discours supplémentaire, qui aide les participants à réfléchir sur ce qu’ils ont entendu jusque là. Ils y sont aidés par la scénographie, la possibilité d’aller et venir comme ils le souhaitent dans un espace conçu pour multiplier les sensations (sons, brume, possibilité de s’allonger, marcher, s’asseoir, toucher..)
- L’exclusion conference” : tous les participants ne peuvent pas accéder à la salle de conférence. Certains sont exclus selon des principes arbitraires, attendus ou non : la taille, l’origine ethnique, le genre, le type de vêtement…La déstabilisation crée alors les conditions d’une meilleure sensibilisation au sujet, pensons nous.
A la fin de la journée, nous avons 3 idées et 3 maquettes. Le problème? Sur quoi et comment avancer ensuite, concrètement? Il nous faut choisir les étapes du lendemain. Nous avons des dizaines de balises que nous pouvons tester : business model, test, … L’équipe conclut la journée dans l’une de ses intenses discussions dont elle a le secret, sur le livrable concret que nous voulons produire.
3e jour : le temps du prototypage
Dernier jour de Lift Prototyping Lab, dernier matin : nous discutons encore, en belle équipe de cérébraux que nous sommes. Gaëlle, notre coach, intervient “il n’est plus temps de parler, il faut prototyper, et tester! ”. Dociles pour une fois, nous posons pour la matinée les balises “Prototyping” et “Testing”. Mais comment prototyper un format de conférence, quand l’objectif est de recueillir des feedbacks auprès de beta-testeurs? Il nous paraît vite compliqué de faire une conférence grandeur nature à tester auprès du public de Lift:Lab; et par ailleurs, il est plus instructif de valider l’idée auprès d’un public extérieur. Le groupe s’accorde ainsi à se concentrer sur le format “Exclusion conference”, et à faire une maquette vidéo de notre concept à diffuser largement.
Nous retenons 3 partis pris pour la réalisation du prototype vidéo de l’exclusion conference :
- Nous testons le format sur le sujet de la place des femmes dans l’industrie numérique, avec l’exemple de “Women in Tech conference”
- Une voix off raconte l’expérience de l’exclusion de deux participants à la conférence afin de mettre en avant un point de vue humain et une tension narrative forte.
- Le décor est une maquette. Les protagonistes sont représentés par des figurines en plastique.
L’équipe se divise en deux pour réussir le challenge de concevoir et produire la vidéo en une heure. Un groupe rédige le texte de la voix off, l’autre groupe construit la maquette et découpe la vidéo en séquences.
Nous filmons à l’ipad, en trois prises, aidés par un expert vidéaste. L’objectif n’est pas d’avoir une vidéo parfaitement réalisée mais un support pour tester une idée auprès de notre communuté. Le résultat est là, que vous inspire-t-il ? https://youtu.be/6JFV3AZsoiM
Nous envoyons la vidéo à nos alliés, c’est à dire ceux que nous identifions comme partenaires potentiels pour mettre en oeuvre des formats d’exclusion conférence. Voici les feedbacks que nous recevons :
Cool ! Ca demande un taf en plus mais c’est chouette (j’organise une conf sur l’attention pédagogie / neuroscience et je voulais proposer un format plus décalé avec des mises en situation justement, mais personne n’était emballé donc je valide votre idée par procuration !)
Renée, 25 ans, chargée de communication
J’aime bien la notion de pré-show qui positionne le sujet sans donner la solution. Cela permet une prise de conscience du spectateur sur certains sujets mais cela me semble difficilement généralisable … A tester, et cela pourrait être aussi initié par un film ou un sketch.
Stéphane, 50 ans, chef de projet innovation
Je trouve l’idée formidable et efficace. La vidéo un peu moins.
Charlotte, 40 ans, directrice artistique
Super idée, devenir acteur là où on s’attend à être spectateur, apprendre par la surprise et susciter les remises en question de schéma traditionnels. Filmé ça peut être aussi assez efficace comme support post-conférence.
Maureen, 38 ans, directrice de festival
Très malin. J’ai vu ça une fois sur un pitch de Startup. Le gars reste silencieux 1 mn avant de commencer. Tout le monde s’interroge en silence. Ultra puissant. 10/10. Bravo
Carlos, 42 ans, délégué adjoint
Nos panels sur les femmes en politique ou les femmes militaires regroupaient 50% de femmes et hommes sur scènes et 90% d’hommes en public … et on a eu si peu de réactions vis-à-vis de ça en direct! Je me demande si ce concept les ferait vraiment réaliser.
Aurélie, 29 ans, coordination de colloques en géopolitique (Canada)
Vendredi, 18h. Lift Prototyping Lab est fini. Nous n’avons pas le temps d’exploiter les encourageants feedbacks reçus. Néanmoins, nous quittons Genève avec de précieux enseignements.
Les « Take-away » de Lift:lab17
- Les vertus du prototypage : non seulement pour mettre des concepts à l’épreuve de la réalité – ce qui marche bien pour un produit ou un service – mais aussi et surtout dans notre cas pour avoir un objet tangible pour confronter les points de vue et réfléchir autrement que par le simple échange verbal. Le fait de mettre en espace, de se poser la question des éléments à incarner dans la maquette, fait avancer le projet bien différemment qu’avec argument et contre argument.
- .. et des « cross feed » : ce temps où chaque équipe prend un moment pour découvrir les projets des autres, explique le sien, tester les prototypes réalisés, est un moment clé du LiftLab. Il est aussi important dans les feedbacks délivrés que dans l’impression de collectif qui se joue là.
- Avoir experts et mentors disponibles quand vous en avez besoin fait vraiment accélérer les projets. C’est comme si alliez à une conférence, ou une formation, mais le sujet porte sur ce sur quoi vous travaillez en ce moment et vous pouvez interagir en permanence grâce au format intimiste. La diversité des experts fait beaucoup pour l’inspiration.
- On conçoit mieux ses projets dans un espace sécurisant. Tous les jours au travail, chacun de nous se confronte à des questions devant lesquelles nous nous sentons démunis. Comment réinventer un festival du numérique en 2018 est la question qui nous obsède, nous passionne et nous rend fou ! Lift Prototyping Lab offre un dispositif pour faire face aux enjeux d’innovation hors du jeu de contraintes habituel du quotidien, budget et deadlines. La logique de solidarité de groupe, la réflexivité apportée par le crossfeed, le soutien technique des experts, l’absence d’évaluation et l’atmosphère de totale bienveillance sont autant de leviers pour faire avancer un projet d’innovation.
- Nous avons gagné un réseau de pairs : Lift est la conférence qui réunit depuis plus de 10 ans le monde de l’innovation. Le nouveau format de Prototyping Lab ouvre de nouveaux espaces de conversation et de solidarité entre experts. Nous avons créé avec d’autres organisateurs d’événements une communauté qui va fonctionner au-delà de Lift.
Conclusion
Nous sommes arrivées à Genève avec le désir ardent de craquer le code de la conférence du futur. Quels sont les enseignements qui vont nourrir Futur en Seine en 2017 ? Nous repartons avec la conviction qu’un événement est un temps politique où se joue l’élaboration du vivre ensemble. Notre mission est de ne pas s’adresser uniquement à nos publics comme à des professionnels experts d’un domaine, mais comme à des citoyens, comme des êtres sensibles. Pour cela, aux organisateurs de conférences de réinventer les conférences en des temps d’expérience qui fassent ressentir aux participants avec acuité les lignes de tension et de transformation du monde contemporain : l’égalité, l’inclusion, les normes…C’est en empruntant aux codes de l’art, de la justice, du théâtre ou de la fête que les conférences sauront se réinventer et accueillir de nouveaux publics.
Camille et Helene
Merci à Taoufik Vallipuram de Ouishare,Carolina Herrera de Convergence, Pascale de Senarclens de Bloom and Boom, Ingrid Kandelman de wecamp, Claudia Marcelloni TedX CERN.
Et surtout à Gaële Lavoue, la coach de notre équipe, qui a probablement oscillé entre désespoir et attachement pendant 3 jours mais qui nous a vraiment aidé à tirer le meilleur de LiftLab!