Cet article est le second de la série Un pavé dans la tech. Après Eros, … Thanatos.
Mis à part les selfies meurtriers dont la presse ne cesse de parler, il existe d’autres liens entre innovation technologique et fin de vie. Mort numérique, pages d’hommages sur Facebook, données “afterlife”, crowdfunding pour enterrement ou encore pierres tombales connectées font sauter les verrous des tabous et révolutionnent un secteur qui évoluait jusqu’à présent très lentement. Jusqu’à poser les questions sensibles de l’immortalité et du transhumanisme…
Vu de loin, on pourrait imaginer que l’industrie funéraire ne peut pas connaître la crise. Difficile d’imaginer une baisse de la demande pour ce secteur qui existe depuis la nuit des temps et qui semble avoir encore de beaux jours devant lui. Mais si le secteur ne risque pas de mourir, il pourrait voir ses structures traditionnelles se faire damer le pion par de nouveaux acteurs. Depuis quelques années, de plus ou moins timides initiatives se mettent en place pour faire bouger les lignes. Petit tour d’horizon des innovations numériques qui accompagnent déjà le départ de certains pour le grand voyage.
J’IRAI SURFER SUR VOS TOMBES
Temple Bansho-ji, cimetière japonais.
Voici peut-être ce à quoi ressembleront les cimetières de demain. En France tout du moins, car pour le Japon, c’est déjà le présent. Ce lieu aux allures de data center n’est autre que le temple Bansho-ji, un cimetière japonais dans lequel on accède aux urnes au moyen d’un badge électronique.
En Europe, si la mutation est moins flagrante, une évolution est clairement en cours. On assiste à un changement de génération : les attentes des jeunes font évoluer les besoins et stimulent l’apparition de nouveaux concepts. Quand il a lancé les devis en ligne pour les enterrements en 2009, Richard Féret (directeur général délégué de la Confédération des professionnels du domaine) raconte qu’il a été “pris pour un dingue”. Six ans plus tard, l’offre sur le marché s’est multipliée et les frontières de l’acceptable ont été considérablement repoussées.
Tombes virtuelles, marbrerie en ligne low cost, web-mémoriaux, coffre-forts numériques et même crowdfunding funèbre … Tout est désormais mis en oeuvre pour faciliter l’accès aux commémorations, et pas seulement du point de vue financier. La startup Simplifia, lancée par deux étudiants de l’EM Lyon en 2011, propose par exemple un coffret qui permet d’effectuer à distance toutes les démarches administratives liées au décès, des assurances-vie à la résiliation EDF en passant par la sécu ou la clôture de comptes, le tout pour 200 euros. Les deux étudiants ont également lancé un TripAdvisor des pompes funèbres, où chaque structure est notée et commentée.
La vidéo fait également sont irruption dans le domaine. Suivre un enterrement en streaming fait maintenant partie des nouvelles pratiques : Parmi eux, Movieternity invite à réaliser une vidéo-testament et le Choix Funéraire propose de suivre l’événement en streaming via des caméras 360° sécurisées «que l’on peut diriger et zoomer à sa guise». Une bonne manière de partir “en live” pour de bon.
Les QR Codes débarquent eux aussi dans les lieux de repos, et font un carton aux États-Unis et en Espagne. Ils permettent de rendre accessible sur le lieu de mémoire des témoignages, photos ou encore vidéos d’hommage, tout en limitant les interactions via un système de modération par un administrateur.
Quiétis, mémorial virtuel.
Quiétis fait partie des initiatives plus poétiques : mémorial virtuel et verdoyant, c’est un univers évolutif au paysage variable (montagne, bord de mer, forêt…) et un réseau social où peuvent se recueillir les proches en offrant des fleurs ou objets virtuels, … Il comptera 50 000 nouveaux emplacements courant 2016.
DU GRAND SAUT AUX GRANDS SOTS
Poussière d’étoile, Dispersion des cendres funéraires dans l’espace
Vous voulez plus grandiloquant ? Il faudra alors vous tourner vers Poussière d’étoiles qui propose de disperser vos cendres dans l’espace. Totalement lunaire, et assez fascinant. Ce concept écologique et biodégradable est validé par la législation funéraire et par la Direction Générale de l’Aviation Civile. Tentant quand on sait que la législation française est assez complexe en ce qui concerne la dispersion des cendres.
Retour sur terre : le web regorge de propositions les plus extravagantes que les autres. Au travers des tatouages avec les cendres du défunt, des parfums à l’odeur de l’être cher disparu et autres pépites, on a pu découvrir l’urne funéraire… sextoy, appelée 21Grams (le poids de l’âme, rappelez-vous), pour des nuits d’amour au delà de la mort. À noter que le coffret fait également enceinte pour smartphone. Le designer, Mark Sturkenboom, avait également imaginé une mini-arche de Noé permettant de transmettre aux futures générations ses reliques les plus précieuses.
21Grams, l’urne funéraire sextoy
La disparition physique est donc toujours mieux pris en charge et les solutions regorgent pour choisir la manière de partir la plus adaptée à ses besoins. Tous les gadgets ont été imaginés pour nous rendre des services dont on pourrait largement se passer. Mais quid de la disparition numérique ? Il y a quelques jours a été reconnue devant la loi la mort numérique, permettant à chacun d’organiser la conservation et la communication de ses données personnelles après son décès.
SIX TWEETS UNDER : MON AVATAR ME SURVIVRA
Tel un coffre fort bien rempli… et parfois mal verrouillé, l’espace virtuel occupé par un individu regorge d’informations confidentielles, de discussions privées, de données personnelles. À l’instar de Laviedapres, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à proposer des coffres-forts numériques et à accompagner la gestion des données restées en ligne après le décès.
After Faceb00k – Exposition À la douce mémoire (Musée McCord)
La question s’est particulièrement posée pour Facebook : avec plus de 30 millions d’utilisateurs décédés (chiffre 2012), et trois inscrits qui meurent chaque minute dans le monde, le réseau social a vite été dépassé et a dû s’adapter pour éviter les situations gênantes pour ses utilisateurs (rappelant l’être disparu à coups de “Say hello to…”). Depuis quelques temps, la plateforme propose de transformer son mur en page Hommage à son décès, mais aussi de désigner des légataires (Paramètres > Sécurité > Contact légataire).
À Montréal, le Musée McCord a accueilli ces derniers mois l’exposition À la douce mémoire, After Faceb00k : en guise de pierres tombales, de faux méga-serveurs, et à l’écran au dessus de nos têtes, des captures d’écrans de photos d’hommages publiées sur le réseau social, et notamment sur des pages Hommage. Une manière de symboliser le retour à un deuil décloisonné et d’une nouvelle manière de commémorer en communauté, comme un retour aux cérémonies publiques des temps passés.
En France, la récente loi numérique a reconnu le droit des internautes à la “mort numérique” c’est à dire qu’elle permet “à toute personne, de son vivant, d’organiser les conditions de conservation et de communication de ses données à caractère personnel après son décès”. Dans les faits, peu de personnes pensent à faire ces démarches, et à moins de faire les démarches pour chaque plateforme (Facebook, Instagram, Twitter par exemple proposent des formulaires), il faut se tourner vers les formules payantes des startups qui se positionnent sur ce créneau.
A l’inverse, d’autres startups assurent à qui voudra la continuité de sa présence numérique au-delà de la mort. Quand Deadsocial propose d’enregistrer un message prédéfini envoyé après le décès, LivesOn propose sans détour à l’individu de continuer à twitter après sa mort : “When your heart stops beating, you’ll keep tweeting”. Plus précisément, l’application prétend générer automatiquement des tweets que vous « auriez pu poster » selon une analyse de vos habitudes. Parfait pour ceux qui n’ont pas peur de surprendre leurs amis avec leurs 140 caractères venus tout droit de 6 pieds sous terre.
Enfin, pour les pros de la présence numérique qui auraient peur de se sentir à l’étroit avec ces solutions, l’E-tomb propose de gérer du même coup Facebook, Twitter et blogs, post mortem. Vos proches pourront se connecter en bluetooth à votre pierre tombale et parcourir tout votre passé virtuel. Le tout alimenté par un panneau solaire.
LA MORT DE LA MORT : VERS L’IMMORTALITÉ ET AU DELÀ
Mais une fois que tout -ou presque- a été imaginé pour adoucir le voyage, certaines personnes repoussent les limites de l’imaginable et posent la question : la mort est-elle inévitable ou est-elle un problème à résoudre ? En finançant des recherches sur l’innovation en matière de longévité, Larry Page (Google), Mark Zuckerberg (Facebook) et Larry Ellison (Oracle) semblent avoir leur avis sur la question, comme l’explique Science & Avenir. Sans aller jusqu’à parler d’immortalité, une poignée de personnes envisage de plus en plus sérieusement pouvoir faire vivre l’humain jusqu’à 150 ans avec des technologies de pointe : numérisation du cerveaux, manipulation de l’ADN, nanorobots, transhumanisme…
FutureMag (Arte) nous apprend par ailleurs qu’actuellement dans le monde 300 personnes essaient d’échapper à leur mort dans des caissons réfrigérés, en état de cryogénisation. Ils espèrent un jour que les évolutions de la science permettront de les réanimer.
Humai, La résurrection humaine grâce à l’intelligence artificielle
Enfin, le réel semble vraiment rattraper la fiction avec le projet de la jeune startup australienne Humai qui assure pouvoir ramener les morts à la vie d’ici les trente prochaines années. Comment ? A peu près comme dans la série suédoise Real Humans : en implantant le contenu de votre cerveau et votre personnalité dans un robot. « Nous utilisons l’intelligence artificielle et la nanotechnologie pour stocker les données sur les styles de conversation, les schémas comportementaux, les processus de pensée et des informations sur le fonctionnement de votre corps de l’intérieur vers l’extérieur, » promettent-ils sur leur site. Rendez-vous dans trente ans pour voir s’ils ont réussi.
Aller plus loin
- L’épisode 1 de la saison 2 de Black Mirror “Be Right Back”
- Facebook, profils d’outre-tombe – Libération
- Comment les géants du web gèrent la mort numérique – Huffington Post