Difficile à quantifier et à définir, longtemps le secteur informel aura été considéré comme la part sombre des économies des pays africains. Pourtant, depuis 2017 la révolution du secteur informel est en marche. Peu à peu perçu comme un levier de croissance, des politiques publiques pour formaliser et structurer ce flou économique sont enclenchées.
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Commerçants, artisans, couturiers, ferrailleurs, mécaniciens, plombiers, maçons, chauffeurs, taxis… Prépondérant dans les pays en développement, le secteur informel représenterait 80 à 90 % de l’économie et 50 à 60% du PIB en Afrique subsaharienne. Malgré cela, ou peut-être à cause de son amplitude, le secteur informel fut longtemps considéré comme une fatalité à juguler pour les économies africaines. L’année 2017 change la donne, le Fonds Monétaire International donne une nouvelle définition du secteur informel qui demeurait jusque là plutôt vague. Ainsi cela « englobe les entreprises familiales qui produisent une certaine valeur marchande sans être enregistrées et plus largement, la production souterraine résultant d’activités productives qui sont le fait d’entreprises enregistrées, mais peuvent ne pas être déclarées aux autorités en vue d’échapper à la réglementation ou à l’impôt, ou parce qu’elles sont simplement illégales. ». Cette définition reconnaît l’action de ce marché sur la production permet d’envisager alors le secteur informel comme un levier de croissance et non plus comme un fléau. Dans ce contexte de politiques publiques sont mises en place à différentes échelles afin de structurer ce secteur, notamment en proposant de meilleures protections sociales aux travailleurs, un accès à la formation.
Mais cela est-il une garantie de l’insertion sociale ? Comment mettre en place des politiques efficaces ? Et plus généralement, cette structuration est-elle vraiment nécessaire ? Le 29 octobre prochain Futur.e.s in Africa fera intervenir des spécialistes pour se pencher sur la question !
Penser autrement l’informel
Cette inquiétude face à l’ampleur du secteur informel dans les économies africaines provient de certaines idées préconçues qu’il faut déconstruire pour offrir un regard neuf aux travailleurs de ce marché. En vrac : les travailleurs du secteur sont sans éducation et d’une grande pauvreté, ils sont précaires et désespérés, ils n’utilisent pas les nouvelles technologies et sont démunis face à un smartphone, ils sont tous égaux face à l’insécurité et l’instabilité de leur situation, le secteur informel nourrit uniquement le marché noir, il n’y a aucune organisation ou encore normaliser le secteur informel est une nécessité…
Considérer que les travailleurs du secteur informel sont tous dans la même situation – d’extrême vulnérabilité – c’est oublier que l’économie informelle prend des formes très diverses, cela ne tient pas compte des trajectoires des travailleurs, ni même du fait que très souvent une même personne peut alterner travail formel et informel. Aussi penser que les travailleurs informels ne contribuent qu’à l’économie parallèle révèle une méconnaissance de la pluralité des situations. De même, informel ne signifie pas illégalité ou désorganisation, il existe des systèmes de coopération et de mutualisation entre les travailleurs qui se révèlent être des acteurs clés de l’économie. Parfois la qualification de travail informel est la conséquence de vides juridiques ou de complexités administratives et non pas de la volonté propre des travailleurs. Par ailleurs le travail informel est de l’ordre de toutes les sphères de la société et n’est pas l’apanage des milieux défavorisés. Une étude datant de janvier 2019 démontre que nombre de travailleurs informels appartiennent aux classes moyennes, environ 40% en Côte d’Ivoire notamment. Le travail informel permet à beaucoup de population de s’extirper du seuil de pauvreté, d’autres difficultés peuvent toucher ces travailleurs, comme se loger ou accéder aux services publics. Cela se vérifie d’autant plus quand les politiques publiques les marginalisent, comme c’est le cas des vendeurs ambulants dans le monde entier. Une autre idée reçue concerne l’utilisation des nouvelles technologies dans le secteur informel – un sujet qui nous intéresse tout particulièrement à Futur.e.s in Africa, festival du numérique inclusif et de l’innovation durable ! -, il est communément admis que les travailleurs informels ne se servent pas des nouvelles technologies et sont des laissés pour compte du numérique. Pourtant rien n’est plus faux !
L’accès aux marchés se fait bien souvent par les réseaux, et de nombreuses applications sont créées pour faciliter ces démarches. Comme la plateforme nigériane Tradebuza qui permet aux agriculteurs de numériser les contrats et ainsi de faciliter les ventes directes. Sur le continent africain, la plupart des travailleurs informels se servent déjà des applications dans leur quotidien. La véritable question à se poser est donc de savoir comment les gouvernements peuvent aider les travailleurs à structurer leurs activités et comment favoriser l’accès aux services numériques pour toutes les populations.
L’économie des petits boulots en Afrique
La prise de conscience de la force économique en jachère du secteur informel est la première étape vers une formalisation par des politiques publiques. En l’état le secteur informel était peu reconnu pour plusieurs raisons. L’une d’entre elle est la complexité à faire un recensement global et d’obtenir des données véridiques. Une autre provient du désengagement des Etats qui utilisent ce prétexte pour esquiver le problème. Pourtant la formalisation de l’informel est recommandée par les institutions internationales, malgré les difficultés inhérentes à la situation. En effet, cela implique des investissements sur du long terme que cela concerne la formation ou l’administratif, mais cela nécessite également de construire un projet politique sur un temps long car transformer ce secteur, qui représente une part aussi forte des économies africaines, ne se fera pas du jour au lendemain. C’est pourquoi le FMI suggère, entre-autre de mettre en place des cadres réglementaires qui sont véritablement adaptés à la réalité des travailleurs, cela implique de penser à une fiscalité progressive ou encore de simplifier les démarches administratives de reconnaissance d’une activité.
Certains Etats mettent déjà en place des cadres juridiques à des professions fortement ancrées dans l’informel. Notamment le Maroc qui tente de réguler la cacophonie des gardiens de voiture. Autrefois il suffisait de garer sa voiture pour qu’un gardien surgisse et surveille le véhicule en échange de quelques menues piécettes. Dorénavant seuls les porteurs de gilets jaunes sont autorisés et ils sont mandatés par les communes pour vérifier que chaque véhicule stationné soit en règle, garé dans les lignes et son ticket de parking bien affiché !
Cette reconnaissance bien que sommaire et n’est pas encore étendue à toutes les professions informelles ouvre la voie vers une meilleure protection des travailleurs, par une couverture sociale effective ou des mesures législatives décentes qui s’appuient sur la compréhension des environnements locaux, qui ne peut être que bénéfiques à tous les travailleurs qui naviguent entre travail formel et informel.
Numérique + reconnaissance sociale = inclusion
Les travailleurs informels n’ont pas attendu la reconnaissance des Etats pour se réunir et faire entendre leurs droits. Un exemple d’une transformation du paysage urbain grâce à la collaboration sociale en Afrique du Sud : Les vendeurs ambulants et les commerçants déclarés du marché de Warwick Junction, à Durban se sont associés et en assimilant leurs droits, ils ont apporté leur contribution à la conception des infrastructures du marché où ils travaillaient. Ces acteurs bien que parties prenantes des économies africaines souffrent d’un manque de reconnaissance sociale, un manquement qui peut-être comblé par l’innovation. C’est la vision que porte Futur.e.s in Africa : un numérique durable et inclusif, qui dépasse la fracture du numérique pour aller vers davantage de cohésion sociale !
Au programme de Futur.e.s in Africa :
Développement, territoires, inclusion : de l’informel au formel – CONFÉRENCE – Mardi 29 octobre au Siège de la Région Casablanca-Settat – 13:00 – 14h:00
Au micro :
Tarik Fadli, CEO Algo Consulting Group, Maroc
Filip Keyser, Tech evangelist, Fondateur du Lumumba Lab, RDC
Lilia Hachem Naas, Directrice du Bureau de la Commission Economique pour l’Afrique en Afrique du Nord, Maroc
Ingrid Pechell, Chargée de mission à la Direction Gestion du Contrat, Lydec
Claude de Miras, Economiste Chercheur à l’IRD, France
Malika Laasri, African Leadership University