Bordéliques, foisonnantes, en croissance, résilientes, efficientes, ouvertes, hostiles, sales : la liste d’adjectifs ne se tarit jamais dès lors que l’on évoque les villes et leur avenir. Entre gouvernance et gouvernement, plateformes privées et pouvoirs publics, efficacité et liberté, les tensions ne manquent pas, alimentées par des oppositions récurrentes entre acteurs aux ambitions souvent divergentes. Ce sont ces débats qui seront évoqués autant lors de Futur.e.s que dans le cadre du festival « Building Beyond », organisé par Leonard:Paris, la toute nouvelle structure d’innovation et de prospective de VINCI dédiée au futur des villes. Son directeur Philippe Dewost sera d’ailleurs l’un des speakers d’une conférence de Futur.e.s portant sur les métropoles, qui se tiendra le jeudi 21 juin à 11h. En amont du festival et de la rencontre « Startup cities : qui gouverne en ville » de Leonard:Paris nous avons posé quelques questions à Matthieu Lerondeau, directeur de la Communication et des Communautés de Leonard et programmateur de « Building Beyond ».
Futur.e.s : Le festival « Building Beyond » marque l’ouverture de Leonard:Paris. Pouvez-vous nous rappeler quel est l’objectif de ce lieu, et son articulation avec le groupe VINCI ?
Matthieu Lerondeau : Leonard:Paris est le laboratoire ouvert du futur des villes et des infrastructures, lancé en juin par VINCI. C’est à la fois un lieu de travail pour les innovateurs de ce groupe très impliqué dans la construction et dans les services urbains et leurs partenaires d’innovation, un incubateur de projets innovants, et un lieu de rencontres ouvertes au public.
Avec ce festival, nous voulons inscrire durablement Leonard:Paris sur la carte de l’innovation en Île-de-France et au-delà, et souligner notre volonté de faire de ce lieu le principal espace du débat sur le futur des villes.
« Building Beyond » est consacré au futur des villes et des infrastructures. Mais qu’entendez-vous par « beyond » ? Au-delà de quoi faut-il construire ?
Les villes connaissent une transition historique : en 2050, elles concentreront plus des deux tiers de la population mondiale, la révolution numérique a profondément transformé leurs usages et leurs sociabilités, et la transition écologique exige qu’elles se réinventent ! « Building Beyond » (« Construire au-delà »), le titre de notre festival est une invitation à imaginer le futur des villes bien au-delà de ce que nous en connaissons – et au-delà des frontières habituelles des métiers de la ville, tant nous sommes convaincus que la ville de demain s’inventera autour de nouveaux partenariats : entre constructeurs et start-up, collectivités et entreprises, citoyens et aménageurs…
Vous avez placé l’inauguration de « Building Beyond » sous le signe de l’imaginaire, avec une rencontre avec les auteurs de bande dessinée Schuiten & Peeters. Comment faire pour que l’apport des artistes/penseurs ne se limitent pas à leur participation à des colloques, des évènements ? Selon vous, faut-il directement les intégrer aux équipes d’ingénieurs, à des « labs » de grands groupes ?
François Schuiten et Benoît Peeters sont, sur ce point, catégoriques dans l’interview qu’ils nous ont accordée à l’issue de cette rencontre passionnante : « Surtout, ne nous confiez pas la mission de concevoir la ville idéale ! » Autrement dit : leurs cités de papier n’ont pas forcément vocation à devenir réalité. Ils en appellent en revanche à rendre sa place à l’imaginaire et à la narration dans la façon dont on conçoit les villes, à y réintroduire une « dimension d’étrangeté et de mystère ». Sur ce point, leur contribution me paraît irremplaçable.
Gouvernance contre gouvernement des villes : voici l’un des sujets les plus brûlants en ce moment, que Leonard et Futur.e.s évoqueront. De votre côté, comment envisagez-vous la cohabitation entre pouvoirs publics, start-up et plateformes privées ?
Avec la révolution numérique et l’émergence de myriades de nouvelles applications et de nouvelles pratiques en ville, on peut légitimement se demander : « qui modèle les usages et le visage de nos villes ? » Qui, de la collectivité ou, mettons, d’Uber ou de Deliveroo, transforme le plus en profondeur mon quotidien ? Et surtout, alors que les élus sont comptables devant les citoyens, qui s’assure que les acteurs émergents de nos villes agissent dans l’intérêt général ?
L’actualité oppose parfois ces deux partenaires du futur des villes ; j’espère que la rencontre que nous organisons le 18 juin en présence de représentants d’Uber aussi bien que des acteurs publics permettra de souligner comment ils peuvent composer ensemble en faveur d’un avenir durable.
Pour finir, et Leonard l’évoquera le 11 juillet prochain, quel regardez portez-vous sur la « programmation » – voire la prédictibilité – de l’urbain ? Les algorithmes cadenasseront-ils les villes du futur ? L’opposition entre défenseurs des smart cities efficientes et critiques d’un modèle d’aménagement urbain ne faisant guère de place aux catégories populaires se fait de plus en plus entendre…
En nous demandant si « on peut programmer l’urbain », c’est au fond une certaine vision de la « ville intelligente » que nous allons interroger le 11 juillet avec le professeur Antoine Picon et Pierre Houssais, le directeur de la prospective du Grand Lyon. N’est-il pas troublant qu’alors qu’il ne fait aucun doute que la ville d’aujourd’hui et de demain s’appuie largement sur le numérique pour optimiser, fluidifier, faciliter la ville, et que ces technologies sont largement adoptées et mises en œuvre par les collectivités elles-mêmes autant que par les citadins, il soit devenu si difficile de répondre à la question « qu’est-ce que la ‘smart city’ » ? À l’heure de l’intelligence artificielle et des transformations profondes qu’elle annonce en ville comme dans de nombreux aspects de notre vie quotidienne, la réponse à cette question ne relève plus de la simple sémantique, mais du choix de société !
Prenez vos billets pour Futur.e.s – c’est gratuit – et pour la rencontre « Startup cities : qui gouverne en ville » de Leonard:Paris – c’est également gratuit.
Plus d’informations sur le festival « Building Beyond » ici.
Légende de l’image-titre : François Schuiten et Benoît Peeters à Leonard le 8 juin, à l’occasion du lancement du festival Building Beyond