Que celui qui n’a pas de smartphone jette la première pierre. Websites, services en ligne et réseaux sociaux sont devenus indissociables du quotidien. Le temps d’écran est devenu un enjeu économique de taille. Mais des voix s’élèvent et dénoncent les mécanismes de cette dépendance généralisée. Reconnaître son addiction, c’est la première étape de la guérison.
Alors close your app, open your eyes. Il est temps de soigner vos addictions et d’entrer dans le programme de digital rehab de Futur.e.s !
Indispensables pour survivre aux trajets de métro, nécessaires pour se repérer en ville, essentiels pour photographier les avocado toasts du dimanche matin, les smartphones sont devenus des piliers du quotidien. Pour beaucoup, le premier geste du matin est de se connecter, vérifier ses notifications, regarder ses mails. Smartphones cloués à la main, yeux rivés sur l’écran, il en est devenu dangereux de se balader en ville à tel point que la pragmatique ville d’Augsbourg, en Allemagne, a installé des feux de signalisation au sol pour les piétons qui oublient de lever les yeux et éviter les accidents. Situation plutôt révélatrice de l’acceptation sociale de cette addiction du numérique. Une drogue douce, certes, mais qui génère quelques effets pervers : perte du sommeil, maux de tête, anxiété et même dépression pour certains. La prise de conscience de cette addiction massive a entraîné une tendance qui gagne en popularité : celle de la désintoxication digitale ! Mais qu’est-ce qui provoque cette dépendance aux écrans, applications et notifications ? Comment les nouvelles technologies et réseaux sociaux influent sur notre cerveau ? Et surtout comment limiter les dégâts ? Alors, nouvelle mode à base de cure en mode avion et de baies de gojis ou vraie solution à un problème de fond, Futur.e.s se penche sur la Digital Rehab.
Tous accros, tous à cran ?
Du téléphone cellulaire au smartphone, la technologie n’a fait un bond ! En 2007 le premier Iphone a révolutionné le marché cellulaire à tel point qu’en 2014, 1,3 milliard de smartphones ont été vendu ! Selon le baromètre du numérique 2018, plus des trois quarts des Français possèdent un smartphone soit trois fois plus qu’en 2012.
Un phénomène mondial qui a eu des conséquences sur les modes de consommation, de communication et a généré une nouvelle addiction : la nomophobie. L’angoisse de ne pas avoir son téléphone est de plus en plus fréquente, en lien avec d’autres troubles sur lesquels les chercheurs commencent à se pencher. Des auteurs ont mis en évidence une peur émergente chez les usagers des réseaux sociaux, la Fear Of Missing Out ou la crainte envahissante que d’autres pourraient avoir des expériences enrichissantes desquelles nous serions absents. Les technologies de l’information ont envahi nos vies, enrichissant au quotidien notre expérience du monde, proposant de l’information en sur-abondance. La technologie n’est plus seulement un outil, un instrument d’interaction avec le monde, elle devient partie intégrante de notre expérience subjective. Notre attention est happée et devient le trophée d’une lutte acharnée entre toutes les technologies à notre disposition. Le but : que l’on reste sur un site, application ou service, qu’on clique toujours plus, sautant de lien en lien, générant toujours plus de trafic. Les technologies capturent notre attention, le temps qu’on leur consacre ne fait qu’augmenter, en moyenne, les Français consultent leur smartphone 26,6 fois par jour. C’est ce qu’on nomme le “design de l’attention”, soit cette capacité à capter, conserver et exploiter l’attention des utilisateurs afin de monétiser le temps de présence. Ce piratage de l’esprit et le temps volé ont été dénoncé par Tristan Harris, ancien ingénieur de Google, repenti dans “l’ethics by design”. A une autre échelle, la popularité des réseaux sociaux s’explique parce qu’ils sont un espace d’expression idéal pour les usagers dans le besoin de reconnaissance et de communication, ils permettent d’exposer au plus grand nombre une image de soi qui correspond à des stratégies autocentrées de présentation de soi. La présentation méliorative de son quotidien est devenu un métier tant les réseaux sociaux sont chronophages. D’ailleurs cette chronophagie des réseaux sociaux est la première raison invoquée par les personnes qui souhaitent se déconnecter. Mais tout n’est pas perdu : le dernier rapport du laboratoire d’innovation numérique de la CNIL, intitulé La forme des choix, Données personnelles, design et frictions désirables propose de nombreuses pistes sur les effets pervers de l’économie de l’attention et les moyens d’y échapper !
On en parle à Futur.e.s :
- Digital rehab : l’imaginarium artistique d’un ex-hackiviste. CONFÉRENCE – vendredi 14 juin au Mobilier national – Galerie des Gobelins
Au micro :
- William Oechsner de Coninck, artiste.
Le 3 D : Data Digital Detox
L’addiction aux smartphones concerne tout le monde, même si on la pointe du doigt surtout chez les millenials. Un phénomène mondial qui s’explique par la très rapide popularisation des téléphones intelligents.
The World Unplugged a mené une étude et demandé à un millier d’étudiants provenant d’une douzaine d’universités des cinq continents, de tenter de se déconnecter pendant 24h. Résultat : une grande majorité d’étudiants ont échoué, beaucoup d’entre eux se sont déclarés « addicts » à leurs smartphones.
Les nouvelles technologies modifient nos manières de penser, l’usage très fréquent des écrans provoque une perte du sommeil, de l’anxiété, la surabondance d’information provoque une perte de l’attention, les réseaux sociaux génèrent des malaises sociaux dû à la comparaison permanente avec autrui (le syndrome de l’instagrameuse) allant même jusqu’à la dépression, en plus de ça c’est très chronophage. Combien d’heures avons-nous perdu en papillonnant de liens en liens, de profils en profils ? Tout est fait de manière à générer une envie de rester. Face à ce constat alarmant on se lance dans la détox, d’ailleurs petit paradoxe : le fantasme de la déconnection vient majoritairement des milieux ultra connectés socialement et professionnellement, voire ultra-connectés comme c’est le cas à la Silicon Valley. La mode est à la diète digital qui devient même un marché juteux, on en fait des challenges, des expositions lui sont consacrées, on trouve des cures de méditation et déconnection, on peut même se détoxifier grâce à son smartphone (ironie quand tu nous tiens..). Les solutions pour se détacher de l’emprise du web sont nombreuses. Firefox propose l’extension “Minimal” qui épure internet et supprime les fonctionnalités addictives des sites, de l’autoplay de YouTube aux couleurs chatoyantes de Google. En proposant des versions minimalistes des sites afin qu’ils soient moins attrayants, l’application est un premier frein au design de l’attention. Il existe également des thérapies afin de soigner en profondeur l’addiction aux écrans, car beaucoup des programmes de “digital detox” reposent sur la réduction du temps d’utilisation, mais contrôler le temps d’écran, c’est se tromper de problème, titrait Usbek et Rica. En revanche proposer une véritable éducation au numérique afin de comprendre comment fonctionne le capitalisme numérique pour ne plus être son jouet peut être un premier pas vers une utilisation raisonnée du numérique. Alors plutôt qu’acheter des kit de detox digital, et pour éviter une nouvelle fracture du numérique, Futur.e.s vous invite dans un programme de rehab sur le long terme, pour ne pas replonger dès la sortie.
On en parle à Futur.e.s :
- Digital detox, la nouvelle fracture du numérique CONFÉRENCE – vendredi 14 juin au Mobilier national – Galerie des Gobelins
- Jouons un peu. La méthode Kondo Marie pour une digitale detox ça donnerait quoi ? CONFÉRENCE – vendredi 14 juin au Mobilier national – Galerie des Gobelins
Quand le numérique se malthusianise
Outre les maux sociaux et psychologiques, la dépendance au numérique et la surconsommation qu’elle entraîne ont des impacts environnementaux. Si la transition numérique est reconnue comme un accélérateur de développement et le numérique est perçu comme facilitant la transition écologique, ils constituent un véritable risque pour le climat. L’empreinte énergétique des serveurs, réseaux et terminaux, qui comprend l’énergie utilisée pour leur fabrication et leur utilisation, progresse au rythme de 9% par an. Les vidéos et le streaming sont les premiers pointés du doigts, suivit de près par la fréquence de renouvellement des appareils, essentiellement les smartphones, en moyenne changés tous les deux ans !
La production des appareils numériques nécessite une part importante de l’électricité disponible ainsi que des métaux rares nécessaires à la fabrication dont l’extraction et l’exploitation sont extrêmement polluantes. Aussi, le numérique apparaît plus comme un frein à la transition énergétique que comme un facilitateur. Alors que faire face à ce constat alarmant ? Le Shift Project, préconise dans un rapport de s’orienter vers une sobriété énergétique afin de réduire la hausse de la consommation d’énergie du numérique. Pour cela, le think tank encourage à acheter les appareils les moins puissants, à les renouveler le moins souvent et à réduire les usages superficiels. Pourtant la prise de conscience de l’impact environnemental des technologies ne doit pas se faire uniquement du côté des consommateurs. La production des industries devrait être réfléchie, et peut-être s’inspirer de Thomas Maltus qui proposait la restriction volontaire de la production. Il s’agit de véritablement intégrer les impacts environnementaux du numérique dans le processus de décision dans les politiques de production, d’achat et d’utilisation des équipements pour enfin proposer un numérique sobre.
On en parle à Futur.e.s :
- Digital, Culture and City : conversation with Touria Melani, Deputy Mayor of Amsterdam CONFÉRENCE – vendredi 14 juin au Mobilier national – Galerie des Gobelins
- La sobriété du numérique n’est pas un long scroll tranquille CONFÉRENCE – vendredi 14 juin au Mobilier national – Galerie des Gobelins
Au micro :
- Touria Melani, Maire adjointe d’Amsterdam chargée du numérique et de la culture
- Sophie Flak, Membre du Conseil National du numérique
- Thomas Landrain, Cofondateur et président de Just One Giant Lab
- Adrien Montagut, Cofondateur de Commown
Et si on Hippocratait le numérique ?
En attendant que les principaux acteurs du numérique admettent leur responsabilité dans la crise attentionnelle que nous traversons et agissent en conséquence, des propositions sont faites pour rendre notre sur-consommation numérique plus digérable. Les outils qui suppriment les métriques sont de précieux alliés pour la prise de conscience de ce qui piège notre attention et un premier pas en direction de la désintoxication. Dans la même lancée, le collectif des Designers Ethiques a publié une méthodologie afin d’évaluer les fonctionnalités addictives d’un site. Data For Good propose un serment d’Hippocrate à travers lequel les développeurs et data scientists s’engagent, comme les médecins, pour une utilisation des données plus éthique. Les voix d’acteurs du numérique, chercheurs, responsables d’entreprises, d’associations, d’organisations publiques s’élèvent pour parler d’un numérique désirable, de réinitialiser l’existant pour le rendre plus sobre, plus humain et plus propice à l’innovation. En un mot, faire « RESET ». Alors, si les premiers concepteurs s’engagent dans ce sens, alliée cela à une véritable éducation au numérique, on peut espérer, comme le dit Tim Krief, retrouver un web où on peut « y faire ce que l’on veut et non pas ce que les sites veulent de nous. ».