Futur en Seine vous ouvre les portes des sujets tabous de la technologie et vous dit tout ce que vous avez toujours voulu en savoir, sans jamais oser demander.
Imaginez-vous avoir des relations sexuelles avec un robot ? Ce qui nous parait impensable, immoral ou simplement fou aujourd’hui deviendra peut-être notre quotidien demain. Le sexe, central à la vie intime, à la fois tabou et surmédiatisé, est lui aussi touché par la révolution numérique : d’innovations excentriques aux initiatives inclusives, les imbrications entre sexe et technologie sont plus essentielles qu’on ne le pense, et mettent aussi en lumière les travers du monde de l’innovation.
Sexualité et tech : une collaboration bouillante
Los Angeles, Janvier 2016. Le CES bat son plein et l’Eureka Park accueille les startups les plus innovantes de la planète, dont 128 startups françaises à la pointe de leurs technologies. L’une d’elles attire particulièrement l’attention, comme écho aux mœurs soi-disant légères des frenchy : B-sensory, qui présente son sextoy connecté Little Bird. Synchronisé avec une application proposant des romans et nouvelles érotiques, Little Bird traduit physiquement les émotions ressenties pendant la lecture. Little Bird n’est d’ailleurs pas le seul sextoy qui entend révolutionner le marché des jouets pour adultes : le britannique Elvie, lancé à l’automne 2015, se positionne comme un tracker pour périnée. En proposant des exercices de 5 minutes pour les muscles périnéaux, il promet une vie sexuelle plus épanouie à ses utilisatrices mais aussi une meilleure balance interne, indispensable pour une activité sportive. Le monde des sextoys intelligents est en pleine expansion, et les sextoys connectés pour les partenaires longue-distance y côtoient les jouets à coder soi-même. La startup américaine Hum propose sûrement le produit le plus avancé du moment, censé réagir et répondre aux pressions ressenties par des capteurs ultra-sensibles.
Le sextoy connecté « Hum »
A l’ère du quantified self et de la recherche de la performance ultime, la vie sexuelle est également suivie, mesurée et analysée pour faire de nous des dieux du sexe en puissance. Si certaines applications mobiles comme Lick your Phone, qui vous propose de lécher votre smartphone (oui oui) pour maîtriser l’art du cunnilingus, ou HappyPlayTime, destinée aux jeunes filles à la découverte de leur corps mais qui s’est aussi avérée utile aux hommes hétérosexuels, sont dans une démarche éducative par rapport au corps de l’autre et de la sexualité, certaines applications vont encore plus loin. Spreadsheets est une application qui mesure chaque aspect de vos rapports sexuels, de la durée au niveau de décibels atteint, et compile un bilan complet à partir de ces données, avec trophées à débloquer et statistiques suivies. Il suffit de placer son smartphone sur son lit pendant les rapports. Dommage si vous êtes plutôt un adepte de la douche coquine…
L’application Spreadsheets – spreadsheetsapp.com
Mais l’union star du moment, dont on entend parler le plus, est celle du divertissement pour adultes et de la réalité virtuelle. Le géant français du secteur, Dorcel, a annoncé à l’automne 2015 se lancer dans la réalisation de films pornographiques en réalité virtuelle pour un réalisme apparemment troublant si on en croit les témoignages de journalistes ayant testé ce type de contenus.
Le vieil adage des internets « toute invention à également son pendant pornographique » est devenu réalité quand on voit toutes les transpositions sexualisées des concepts stars de la tech : de Uplust (anciennement Pornostagram) et sa déclinaison coquine d’Instagram à Ohlala, Uber du sexe tarifé en Allemagne, largement décrié à son lancement cet été, la sex-tech a de beaux jours devant elle !
Robots, genre et évolution des mentalités
Mais ce boom de la sex-tech n’est pas sans travers, notamment liés aux principaux défauts du monde de l’innovation et de la technologie. La sexualité augmentée proposée par des startups est avant tout destinée aux individus hétérosexuels et cisgenre. C’est donc réduire la sexualité aux rapports hommes-femmes qui ne représentent qu’une partie de la complexité et de la richesse de la vie sexuelle humaine. Ce travers ne se limite pas à la seule sex-tech, et c’est souvent que le monde de l’innovation s’est confronté à ces reproches de manque d’ouverture et d’exclusion.
La question du sexe et du genre dans la relation entre sexualité et technologie se pose notamment à propos des rapports sexuels entre humain et robots. Selon certains experts, dont le docteur Helen Driscoll, du département psychologie du sexe de l’université de Sunderland, la robotique est amenée à jouer un rôle de plus en plus important sur le marché de la sexualité dans les années à venir. David Levy, de l’université de Maastricht, va encore plus loin en affirmant que les relations sexuelles entre humains et robots sont inévitables. Certaines startups se sont emparées de la question, comme RealDoll, qui propose des poupées sexuelles capable de lancer des clins d’œil et de tenir des conversations simples. L’entreprise propose des robots féminins et un modèle masculin, mais pas de modèle transgenre (uniquement des accessoires). Ce catalogue restreint soulève une question plus large de la robotique : le genre des robots.
Uncanny Valley , la théorie du roboticien Masahiro Mori
Les robots produits pendant les 20 dernières années ont tous été identifié de genre féminin ou masculin, même s’ils ne sont pas à proprement parler humanoïdes : de larges épaules ou des yeux en amande peuvent contribuer à percevoir un robot comme masculin ou féminin, et le genre constitue un critère crucial pour surmonter le problème de vallée dérangeante lié aux robots. D’autres études ont montré que les propriétaires de robots aspirateurs étaient enclins à leur donner une identité et un genre après un certain temps, bien que ces robots soient très éloignés de l’apparence humaine. Plusieurs chercheurs comme Micol Marchetti-Bowick, de l’université Carnegie Mellon, souligne l’importance de réfléchir à ces questions de genre pendant le processus de conception d’un robot, humanoïde ou non, pour ne pas renforcer les stéréotypes de genre qui sont déjà trop présents dans notre société. C’est particulièrement vrai pour les robots humanoïdes aux attributs féminins conçus pour des activités stéréotypées, comme les services ménagers ou encore… les robots sexuels. La perception du genre dans la robotique doit donc être étudiée de près, quand les robots font de plus en plus partie de notre vie, et qu’une conception binaire du genre apparaît comme dépassée.
L’innovation porteuse de liberté sexuelle ?
C’est peut-être en surmontant ses travers que la technologie libérera l’humain de sa sexualité mais également des questions de genre. De plus en plus d’initiatives sont créées au sein de la communauté tech pour faire évoluer les mentalités : le réseau Lesbians Who Tech, lancé en 2012 par Leanne Pittsford, regroupe désormais 10 000 membres dans le monde entier pour aider les femmes lesbiennes à s’affirmer dans un monde essentiellement masculin, où le sexisme ordinaire est roi. La communauté berlinoise Unicorns in Tech destinée aux individus LGBTQ+ dans la tech organise cette année la deuxième édition du #unit Festival, le seul festival tech et queer du monde : artistes et speakers sont conviés à créer et échanger sur l’innovation dans un environnement diversifié et inclusif. Des initiatives salvatrices dans le monde de l’innovation et de la tech, qui ont également une influence sur la manière d’innover et sur les innovations proposées.
D’autres innovations induisent un autre débat brûlant sur les questions liées à la sexualité : la procréation. Des scientifiques travaillent déjà sur des spermatozoïdes cyborg pour lutter contre l’infertilité masculine. Si cette innovation n’est qu’au stade de recherche et que beaucoup d’obstacles restent encore à surmonter pour présenter un prototype fiable, elle ouvre la porte à des technologies qui pourraient révolutionner notre rapport au sexe et aux questions qui gravitent autour.
Les robots pourraient-ils enfin nous apprendre à être plus inclusifs et tolérants ? Akanshka Prakash, doctorante à Georgia Tech pense que l’hypothèse selon laquelle les robots pourraient aider les humains à mieux appréhender le spectre du genre doit être sérieusement envisagée. Une autre chercheuse, Glenda Shaw-Garlock, écrit « les robots devraient avoir l’opportunité de devenir différents » : on prédit que les intelligences artificielles pourront résoudre beaucoup des grands problèmes de l’humanité (éduction, climat, démographie…), peut-être seront-elles aussi capables de nous rendre plus ouverts, tolérants et plus libres sur les questions de sexe et de genre ?
En savoir plus :
– Le documentaire Technosexe, de Sandra Rude
– [ENGLISH] L’épisode « The Uncanny Lover » de la série Robotica, par Bits pour le New York Times
– [ENGLISH] L’article Sex Ed Robots : How Android Help Humans Rethink Gender and Sexuality sur Inverse
– Comment ferons-nous l’amour en 2050 ?, numéro 9 de Usbek et Rica
Margaux Souvignet, chargée de communication pour Futur en Seine