ON ENTEND MILLE CHOSES SUR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DES PLUS INQUIÉTANTES AUX PLUS FASCINANTES. MAIS QU’EN PENSENT VRAIMENT CEUX QUI LA CÔTOIENT TOUS LES JOURS ? FUTUR EN SEINE LANCE HUMANS OF IA POUR DONNER LA PAROLE AUX START-UPPERS, CHERCHEURS, INGÉNIEURS QUI TRAVAILLENT DANS LE DOMAINE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. L’OCCASION DE DÉCOUVRIR LEUR VISION, LEURS DÉFIS ET DE DÉMÊLER LES FANTASMES DE LA RÉALITÉ POUR MIEUX COMPRENDRE LE MONDE QUI NOUS ATTEND DEMAIN.
retrouvez cette semaine le portrait de camille fagart, cofondateur d’alix, un petit robot doté d’intelligence artificielle qui aide à dénicher le meilleur des tendances de la mode masculine. Et si vous souhaitez bénéficier de ses conseils, venez tester le chatbot à Futur en seine cette année.
Camille Fagart, cofondateur d’Alix
Futur en Seine : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’intelligence artificielle ?
Camille Fagart : Un peu par hasard en fait. Au départ on a lancé un premier projet qui s’appelait DealOn : c’était une plateforme qui mettait en relation des acheteurs avec des marques. Les acheteurs expliquaient ce qu’ils cherchaient – une télé, du mobilier, etc. Les marques pouvaient quant à elles répondre de manière complètement personnalisée en proposant un produit. Cette plateforme a eu un succès mitigé parce qu’il y avait beaucoup de demandes d’acheteurs mais peu de réactivité des marques. Souvent les réponses étaient envoyées trois jours après et le consommateur était parti chercher son produit ailleurs.
On a donc réfléchi à une solution pour essayer d’automatiser la réponse. C’est à ce moment qu’on a commencé à s’intéresser à l’intelligence artificielle, et aux chatbots plus spécifiquement, parce qu’ils s’adaptaient bien à notre produit. On avait aussi observé que la majorité des demandes sur le site provenaient d’hommes en recherche de prêt-à-porter. C’est comme cela qu’on en est venu à créer un chatbot qui intègre l’intelligence artificielle pour aider les hommes à choisir leurs vêtements en discutant via Messenger.
C’est en itérant sur notre produit qu’on s’est intéressés à l’intelligence artificielle. On n’a pas fait un chatbot pour faire un chatbot. C’est la solution qui s’est imposée à nous pour rendre l’expérience utilisateur plus fluide et agréable, en discutant sur un canal déjà utilisé comme Messenger, plutôt que de télécharger une énième application pour gérer des recherches de vêtements.
FenS : Comment avez-vous développé Alix ? Sur quelles technologies repose votre chatbot ?
C. F. : On est une équipe composée de cinq personnes dans laquelle on a deux profils business et trois profils techniques. En plus du développement informatique en interne, on a aussi un partenariat avec le LIRIS, un laboratoire universitaire à Lyon qui est notamment spécialisé en intelligence artificielle, ce qui nous permet d’approfondir notre connaissance des technologies d’apprentissage profond utilisées pour développer Alix.
L’IA, c’est un peu flou quand on en parle. En ce qui nous concerne, on est spécialisé dans la branche de l’intelligence artificielle qui s’appelle le traitement automatique du langage naturel. Un utilisateur va par exemple écrire : « Je voudrais acheter une chemise en coton bleue marine. » et l’IA va nous permettre de traiter cette requête en découpant la phrase pour en extraire du sens et y apporter une réponse personnalisée.
FenS : Vous insistez sur le fait qu’Alix s’adapte à chaque personne. Pourriez-vous m’expliquer comment ça marche ?
C. F. : On a pris le parti d’affiner notre connaissance du client au fur et à mesure des conversations plutôt qu’en recueillant mille renseignements sur l’utilisateur au départ. On ne lui demande pas son style vestimentaire, son âge, son poids, sa taille, mais on apprend à le connaître en fonction de ses goûts, des produits qu’il aime, ce qui permet de personnaliser les suggestions à partir de l’historique des conversations.
FenS : Comment fonctionne la recommandation ? Avez-vous défini des catégories à l’avance ?
C. F. : On ne cherche pas à cartographier l’utilisateur en lui définissant un profil stylistique. À chaque fois qu’on va intégrer un produit ou une marque dans le chatbot, on va lui définir des valeurs : produit éthique, qualité dans la fabrication et les matériaux, marque éco-responsable, etc. On essaie ensuite de comprendre quelles sont les valeurs que l’utilisateur apprécie dans les produits qu’on lui propose et de lui faire découvrir des produits ou des marques qui ont les mêmes valeurs.
FenS : Comment aidez-vous vos utilisateurs à trouver des perles rares ?
C. F. : Quand on a remis notre modèle économique en question, on s’est demandé pourquoi les hommes avaient besoin de conseils pour acheter des vêtements. On s’est dit qu’ils avaient peut-être des difficultés à choisir, à trouver des produits, ou pas assez de temps pour le faire. Notre métier, ce n’est pas la mode donc on se repose sur des blogueurs pointus dont on intègre la sélection à Alix. L’avantage pour l’utilisateur est qu’il n’a pas à faire le travail pour dénicher le blogueur ou le sélectionneur qui lui plaît. Alix fait le travail à sa place et lui ressort des propositions trouvées sur ces sites et blogs.
FenS : Pourquoi insistez-vous sur le fait qu’Alix a de l’humour ?
C. F. : Il faut bien se dire que l’intelligence artificielle avance vite aujourd’hui, mais qu’elle a encore beaucoup de défauts, donc il peut arriver qu’une demande ne soit pas reconnue et que l’IA ne sache pas quoi faire. L’idée, c’est plutôt de plaisanter avec cela plutôt que de faire dire à la machine qu’elle n’a pas compris.
L’utilisateur sait très bien qu’il parle à une intelligence artificielle et pas à un humain, mais il a aussi envie d’une part d’humanité. Il ne souhaite pas être confronté à quelque chose de trop mécanique, de trop strict, qui resterait trop formel. Quand Alix est passé à côté de votre message, on va plaisanter, c’est une manière de dédramatiser l’imperfection.
FenS : Vous m’avez dit que vous ne vous y connaissiez pas en intelligence artificielle avant de développer Alix. Comment cette expérience a transformé votre conception de l’IA ?
C. F. : J’ai une formation de juriste et je ne travaille pas sur la partie technique de développement du chatbot. Mais on s’intéresse nécessairement à l’intelligence artificielle quand on travaille dans ce domaine, d’autant qu’on en entend beaucoup parler. L’intelligence artificielle, c’est la technologie du futur et la France investit massivement dans le domaine avec la stratégie France IA. Cela suscite aussi des inquiétudes car certains métiers vont être remplacés par l’intelligence artificielle.
Notre start-up traite d’une partie de l’intelligence artificielle qui ne remplace pas l’humain. Alix est intégré dans un canal de messagerie et interagit uniquement avec l’être humain au travers de textes écrits.
Le fait qu’il n’y ait aucuns échanges vocaux et qu’on ne soit pas confronté à un robot physique en plastique et en métal rend l’intelligence artificielle presque invisible pour l’utilisateur qui a presque l’impression de parler à un ami. C’est d’autant plus vrai que notre chatbot s’intègre à un usage très courant en utilisant les plateformes de messagerie.
On espère qu’un jour on pourra se demander si on est en train de parler à une machine ou un humain. C’est un peu le test de Turing.
FenS : Pensez-vous que l’Intelligence artificielle va modifier nos manières de vivre ?
C. F. : L’intelligence artificielle a beaucoup apporté et elle a certainement beaucoup à nous apprendre. Cela fait longtemps qu’on dit que l’IA est arrivée à son apogée. Je pense qu’on n’y est pas encore et qu’elle sera très utile dans le domaine de la santé et de l’éducation. Nous, on a justement on a un côté éducatif puisqu’on essaie de faire de la pédagogie sur la manière de choisir ses vêtements aujourd’hui. Il y a d’autres domaines où l’IA peut être moins efficace ou problématique. C’est un long débat.
FenS : L’intelligence artificielle suscite beaucoup de peurs. Qu’en pensez-vous ?
C. F. : L’intelligence artificielle ne m’angoisse pas, dans le sens où je ne pense pas que l’IA va nous détruire et nous remplacer comme dans 2001 : l’Odyssée de l’espace. Il est important que l’État prenne conscience de la nécessité de réguler ce secteur pour éviter les dérives dans l’usage de ces technologies. Mais cela ne doit pas freiner la recherche, car on a encore des efforts à faire pour être au niveau des États-Unis.
Il y a une fascination et une inquiétude sur le dépassement de l’homme par la machine. Mais en réalité les machines sont déjà bien plus performantes que nous dans de nombreux domaines donc cela ne me fait pas peur.
FenS : Les propos racistes et nazis de Tay, le chatbot de Microsoft, ne vous ont-ils pas inquiétés au moment de développer votre propre chatbot ?
C. F. : Dans la mesure où on est un chatbot spécifique centré sur le vêtement et l’univers masculin et qu’on ne cherche pas à avoir des conversations générales avec nos utilisateurs, juste pour faire connaissance, il n’y a pas de raisons qu’il y ait des dérives. À chaque fois qu’un utilisateur veut nous emmener ailleurs, on recentre la discussion sur notre spécialité. Les chatbots qui se créent aujourd’hui n’ont pas intérêt à aller en dehors de leur business pour mettre en avant le côté conversationnel. Il est de la responsabilité de chaque entreprise de bien cadrer les conversations et les sujets pour éviter que l’intelligence artificielle absorbe des choses qu’elle n’aurait pas dues.
FenS : Vous m’avez parlé de 2001 : l’Odyssée de l’espace tout à l’heure. Dans quels films, séries ou livres de science-fiction pensez-vous que l’intelligence artificielle est le mieux représentée ?
C. F. : J’aime beaucoup le film de Kubrick, même s’il est très pessimiste par rapport à l’IA. La série Black Mirror est aussi très marquée par l’idée que la technologie va nous dépasser et faire de nous des êtres qui n’auront plus de valeur sur Terre. La science-fiction est en réalité très sombre et ce n’est pas comme cela que j’imagine l’avenir dans ce domaine.
Il y a quand même le film Her où le personnage principal tombe amoureux d’une intelligence artificielle conversationnelle. Si l’on fait abstraction de la triste fin, l’homme était plutôt heureux avec ce compagnon vocal qui le comprend finalement mieux qu’un être humain. J’ai tendance à ne pas rejeter ces évolutions : pourquoi pas, si cela peut apporter un peu de bonheur.
Vous ne savez pas quelles lunettes choisir : Alix est là pour vous conseiller.
Pour aller plus loin : Camille Fagart explique le modèle économique d’Alix sur BFM business.