Dans le futur, on fera de la mayonnaise sans casser des œufs. Rencontre avec Algama, la start-up française qui conçoit la nourriture de demain.
Jaune d’œuf, moutarde, vinaigre, huile, sel et poivre : c’est tout ce dont vous avez besoin pour confectionner une mayonnaise, une œuvre à la portée des coups de fouet les moins talentueux. Mais, à l’avenir, ce subtil mélange pourrait n’être qu’un vestige du passé. Car aujourd’hui, se profile à l’horizon une société dans laquelle même les véganes pourront se délecter d’une mayonnaise sans œufs, car ces derniers auront été remplacés par des microalgues. C’est du moins l’envie d’Algama, start-up hexagonale que vous retrouverez lors de Futur.e.s dans le cadre d’une masterclass consacrée au devenir de la nourriture, un devenir dans lequel les impératifs éthiques et les enjeux d’industrialisation pourront (peut-être) enfin cohabiter. Nous avons rencontré Hugo Lercher, membre d’Algama, pour en savoir plus.
Futur.e.s : Bonjour Hugo. Pouvez-vous me parler des origines d’Algama ?
Hugo Lercher : Algama a été créée fin 2013 par trois amis d’enfance : Alvyn, Mathieu et Gaëtan. Le but de l’entreprise a toujours été simple, en fait : proposer une alimentation saine, savoureuse et durable, qui exploite le potentiel unique des microalgues. Notre premier produit, la première production illustrant notre vision, a été The Good Spoon – à savoir une gamme de sauces végétales sans œufs – qui représente la première mayonnaise végane au monde dont l’émulsion est réalisée grâce aux microalgues. Dans ce produit, les microalgues nous ont permis de nous affranchir de cet allergène majeur qu’est l’œuf et de diminuer de 60 % la quantité de matières grasses. On a fini par décliner cette mayonnaise en quatre saveurs – mayonnaise classique, ail et fines herbes, curry, piquante – et ça a été un succès.
Et d’où vous est venue l’idée d’utiliser des microalgues pour remplacer les œufs ? Est-ce votre parcours universitaire qui vous a poussés à étudier les microalgues ?
En fait, les trois fondateurs d’Algama sortent des Arts et Métiers, de Dauphine et de Centrale. Ils se sont rencontrés à l’Haÿ-les-Roses dès le collège, et j’ai de mon côté rencontré Gaëtan à Centrale. Tout vient de l’expérimentation par Alvyn et Gaëtan de la spiruline, une microalgue « phare » que l’on ingère principalement sous forme de compléments alimentaires. Le gros souci de la spiruline, ce sont ses contraintes organoleptiques – son goût, son odeur, sa texture. Pour résumer, la spiruline est souvent peu appétissante, voire repoussante. Notre objectif a donc été assez simple : lever ces barrières organoleptiques afin de proposer un produit savoureux et sain. C’est cette ambition qui a été récompensée par plusieurs prix agroalimentaires au travers de nos différents produits.
Les fondateurs sont-ils véganes, ou leur intérêt est-il différent ?
Non, ils ne le sont pas, mais certains de nos nouveaux collaborateurs, répartis entre Paris et New York, le sont. Ce que nous défendons chez Algama, c’est une alimentation « flexitarienne » – ce qui n’est pas vraiment original au sein de notre tranche d’âge, les 25 – 40 ans, plus sensible que les générations précédentes aux thématiques de respect environnemental, d’équilibre alimentaire, de respect du monde animal et de l’empreinte énergétique de l’industrie agroalimentaire.
Plus généralement, ce sont des problématiques de santé qui sont au centre des préoccupations. On le voit bien avec la question de surconsommation des protéines animales et de leur possible lien avec des cancers. Aujourd’hui, l’important est d’adopter un comportement plus raisonné dans notre approche de la nourriture, après des décennies d’opulence qui ont eu un prix. Ce prix, c’est notre santé, mais aussi l’avenir de notre planète.
Et comment avez-vous réussi à faire votre trou médiatiquement et économiquement au sein de la galaxie de la foodtech, sachant que le « steak sans viande » a toujours eu tendance à concentrer les projecteurs ?
Je suis tout à fait d’accord avec cet état des lieux et le fait que les projets de steaks sans viande ont toujours capté l’attention du public, des médias et, souvent, des investisseurs. Je ne sais pas si nous avons véritablement « fait notre trou ». Disons que notre position de pionniers, précurseurs dans l’exploitation des microalgues pour l’alimentation quotidienne, nous a permis de nous imposer plus facilement. Nous avons commencé notre activité de recherche et développement dès 2013, mais celle-ci ne s’est jamais arrêtée à la commercialisation de nos produits. Nous avons travaillé avec le CNRS et l’Inra, dans le domaine de la recherche pure depuis plusieurs années. C’est la combinaison de nos recherches et de nos produits finis qui nous a permis d’émerger véritablement sur la scène de la foodtech.
Et quelles ont été les autres étapes importantes de votre développement ?
Nous avons été soutenus il y a deux ans de ça par le fonds hongkongais Horizons Ventures, qui a investi dans quelques entreprises de la foodtech à travers le monde, comme Impossible Foods, ce qui a beaucoup contribué à notre développement et notre rayonnement international.
Sinon, comprenez-vous les critiques de certains, qui jugent que l’industrie agro-alimentaire utilise à son profit les principes véganes, et qu’il faut avant tout revenir aux produits de la terre ?
Evidemment. Cependant, je pense que c’est avant tout une question d’équilibre. Certaines entreprises essaieront certainement de s’emparer de tendances de fond qui s’ancrent désormais dans le quotidien des gens, telles que le végane ou le bio. Les nouvelles générations notamment sont encore plus sensibles aux questions du « manger mieux et plus intelligemment ». Nous étions au salon VeggieWorld Paris il y a peu et nous avons été agréablement étonnés par la prise de conscience générale, et surtout des 25-45 ans, sur la nécessité de proposer de nouveaux aliments plus adaptés aux envies mais également aux évolutions des ressources actuelles.
Le fait que plus d’entreprises s’intéressent à la démarche végane permettra de démocratiser ce type d’aliments et donc de les rendre plus accessibles, ce qui est évidemment bénéfique. Concernant les produits de la terre, je pense qu’ils restent essentiels à de nombreux égards et représentent un vrai savoir-faire français. Tout est dans l’utilisation raisonnée et maîtrisée de ces derniers ! In fine, je pense que l’important est d’avoir en tête le devenir de la planète tout en proposant des aliments répondant aux besoins et envies de la population actuelle.
Et quels sont les axes de développement d’Algama dans les années à venir ?
Nos quatre piliers ne varieront pas : nous proposerons toujours une alimentation saine, savoureuse, durable et abordable, via l’exploitation du potentiel des microalgues, qui paraît presque sans limite. Les microalgues peuvent considérablement modifier notre alimentation en remplaçant des ingrédients parfois allergènes pour certains ou en permettant une amélioration nutritionnelle considérable. Aujourd’hui, notre R&D bat son plein, nous avons de nombreux produits dans le « pipeline », et nous œuvrons au bon développement de The Good Spoon à New York, en France et en Europe.
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