Retour sur un atelier de Futur.e.s in Africa, organisé par l’AFD et Proparco

Gwenaël Prié, AFD : Nous avons souhaité organiser un atelier sur le financement des start-up parce que c’est l’un des nerfs de la guerre de l’innovation de pouvoir apporter les moyens de leurs ambitions aux jeunes entreprises innovantes. Or nous constatons qu’elles éprouvent des difficultés. Une étude réalisée par le cabinet Roland Berger pour le groupe AFD a mis l’accent sur une réalité : 9 start-up sur 10 considèrent que se financer est très difficile en Afrique. La plupart font appel à leur argent propre ou à l’argent de leur cercle familial pour se financer dans leur amorçage.

Le problème est majeur, et malgré les augmentations de levée de fonds ces dernières années en Afrique, il est toujours présent. L’année dernière, 124 start-up ont levé 560 millions de dollars. Ce chiffre est en augmentation, paraît impressionnant, mais il dissimule deux réalités. D’abord, 124 start-up pour un continent de plus d’un milliard de personnes, cela reste un ratio très modeste. Et ces 124 start-up sont surtout concentrées dans trois pays : Nigéria, Kenya, Afrique du Sud.

Le défi du financement des start-up intéresse forcément le groupe AFD et ses partenaires africains : pour l’AFD, en ce qui concerne les aspects de politiques et investissements publics, et pour Proparco qui finance le secteur privé et dont la stratégie s’étend aujourd’hui davantage aux financements de start-up… Lors de Futur.e.s in Africa, nous avons constaté que nous n’étions pas seuls à nous poser ces questions-là. Lors de notre atelier, le public était nombreux et diversifié : 40 personnes, représentant l’intégralité de l’écosystème. Des start-up africaines, marocaines, françaises, incubateurs, accélérateurs, fonds, business angels, la Caisse centrale de garantie (CCG) marocaine et l’Agence de Développement du Digital, l’ADEME : tous étaient présents, représentant autant le public que le privé.

Yazid Safir, Proparco : Nous avons commencé l’atelier par l’état des lieux que vient de rappeler Gwenael, puis après le tour de table, plusieurs témoins-experts ont pris la parole. Rebecca Enonchong, elle-même entrepreneuse, a expliqué son travail pour structurer l’écosystème des business angels d’abord au Cameroun et ensuite au niveau africain avec l’African Business Angels Network. Son témoignage a mis l’accent sur la différence entre business angel africain – plutôt un cadre supérieur à même de financer un petit ticket – et ceux que nous connaissons mieux dans les pays du Nord, des entrepreneurs ayant créé plusieurs start-up avant de tout vendre, ce qui les a amenés à être à la tête de beaucoup d’argent. Une telle remarque souligne les différences de modèles de financement qui peuvent exister entre pays.

Ensuite, Kenza Lahlou d’Outlierz Ventures, un VC panafricain basé au Maroc, nous a parlé de la nécessité de fournir du « smart capitals » : du financement oui, mais pas seul. Il doit être accompagné d’un suivi étroit des start-up. Il est également essentiel de leur ouvrir un carnet d’adresses, et le marché, ce qui peut se faire en tissant des liens avec les grandes entreprises.

Au cours de ce tour de table, nous avons également fait témoigner la CCG marocaine, qui vient de lancer le dispositif de financement de l’innovation Innov’Invest, qui offre plusieurs outils de financement des start-up dès l’amorçage. Sam Kodo, créateur togolais du robot d’aide à l’enseignement VT-Bot, a témoigné sur son impossibilité à lever des fonds. De son côté, MedTrucks, qui opère au Maroc et en France, a levé des fonds dès sa phase d’amorçage via des régions françaises puis la BPI France. Puis un débat s’est engagé dans la salle autour de trois thèmes.

Gwenael Prié :  Nous avons d’abord évoqué la question de la stimulation de la demande de financement, c’est-à-dire comment faire en sorte que davantage de start-up soient en mesure de rechercher des financements. La discussion a conclu sur le fait que ces actions devaient viser le passage à l’échelle, car il faut un grand nombre de start-up financées pour obtenir de belles réussites. Pour ce faire, il faut intervenir sur la formation, la culture de l’entrepreneuriat, et la bonne circulation de l’information sur les modalités de création et de financement d’entreprises.

Yazid Safir : Les investisseurs ont de leur côté mis l’accent sur le besoin d’accompagner la montée en compétences des incubateurs et des accélérateurs sur le continent africain. Par ailleurs, ils ont réclamé des conditions plus favorables pour enregistrer leurs fonds en Afrique.

Gwenael Prié : Nous avons finalement évoqué la question des politiques publiques. Parfois, quand on demande au privé ce que le gouvernement doit faire, vous vous doutez qu’il répond : « Le moins possible ! » Mais quand on creuse un peu, tout le monde s’accorde à dire que certaines choses sont uniquement du ressort du gouvernement : les infrastructures – offrir du très haut débit à un coût abordable aux entrepreneurs et à leurs clients – ou encore la formation. De même, certains financements ne génèrent que peu de retours sur investissements et sont risqués : les premières phases d’amorçage ou encore le soutien aux incubateurs émergents. L’Etat a sans doute un rôle à jouer ici pour investir et ce faisant rassurer les investisseurs privés.

Enfin le groupe de travail a souligné comme l’Etat pouvait travailler à faciliter ses relations avec les start-up, par exemple en facilitant la création d’entreprises via un guichet unique, ou en tournant les commandes publiques vers les start-up. Peut-être plus généralement s’agit-il d’organiser des échanges féconds entre start-up et pouvoirs publics, qui sont bénéfiques pour les deux parties. A travers cet atelier, nous sommes fiers d’avoir pu contribuer à ce rapprochement entre acteurs qui, ils l’ont prouvé, ont énormément de choses à se dire.

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