Le futur du numérique francophone en question à Dakar


Futur.e.s s’est posé la semaine dernière dans la capitale sénégalaise à l’occasion du Forum Francophone de Dakar. Pour chercher quelques degrés supplémentaires, oui, mais surtout parce que cette toute première édition avait pour thème : « La Francophonie comme facteur d’intégration par l’innovation numérique ». Un sujet qui nous parle en vue du prochain Futur.e.s in Africa*.

Organisée par le Ministère de l’intégration africaine et de la Francophonie, la manifestation souhaite proposer à la communauté francophone un cadre régulier de réflexion et de propositions sur des enjeux qui interpellent l’espace francophone : souveraineté, éducation, économie, média et information, créativité, santé.

Quelques « morceaux à emporter » (francophonie oblige) de ces 3 jours de prises de parole, de rencontres d’universitaires, d’institutions, de politiques et d’entrepreneurs qui oeuvrent à développer l’impact de l’Afrique francophone sur le continent.*

Le numérique francophone en retard

Le digital est la première révolution que l’Afrique peut s’approprier totalement. Mais l’Afrique anglophone a pris de l’avance et imprime déjà la marche à suivre. Les start-up anglophones lèvent davantage de fonds : en 2017, 128 levées de fonds en Afrique ont atteint 560 millions de dollars, avec un trio de tête anglophone : Nigeria /Kenya/ Afrique du Sud: le Sénégal, le Maroc et la Tunisie viennent ensuite mais avec des montants bien plus faibles.

« Toute révolution crée des colons et des colonisés, chacun peut y perdre sa souveraineté « 

La révolution numérique ne fait pas exception aux tentations colonisatrices, et cette fois, ce ne seront pas des nations qui dominent le jeu, mais des acteurs privés. Il y a donc urgence à affirmer des modèles qui reflètent les principes partagés par la francophonie : la tâche n’est pas simple, mais légitime au regard des chiffres. La communauté francophone compte plus de 270 millions de locuteurs sur les 5 continents, dans des pays à divers niveaux de développement. La croissance démographique de l’Afrique va ne faire que la renforcer, passant de 270 millions de locuteurs à 700 millions dans les 5 à 6 prochaines années, soit …700 000 par an.

Quatre défis à relever 

Pour innover et développer le numérique francophone, l’Afrique ne manque pas de ressources : elle déborde de matière grise, de capacité et d’ambition. Il faut plutôt améliorer :

  • L’accès à l’électricité et aux télécoms : les chinois investissent massivement (Alibaba s’est installé à Kigali, Rwanda) >  il faut construire une infrastructure et des offres francophones pour garantir une certaine souveraineté.
  • Des parades contre l’atomisation des marchés : il y a nécessité cruciale de produire des normes et des standards communs francophones et en sortant des logiques nationales.
  • La mobilisation du capital pour les entreprises francophones en croissance
  • Des outils performants d’éducation : avec les futurs 700 millions de locuteurs africains francophones, IA et 5G deviennent indispensables pour répondre à ce gigantesque besoin à venir.

Sur ce point, certains dans la salle de la plénière étaient en net désaccord sur la solution « tout 5G » – soulignant un manque certain de débat et pluralité des échanges. Ainsi pour Stéphane Gaultier , la télévision et le mobile comme médias de masse peuvent aider à former rapidement les populations adultes, sans attendre le déploiement de la 5G par des acteurs occidentaux – qui tiendraient ensuite les marchés, éternel recommencement…

renouveau nécessaire du système d’éducation pour l’industrie numérique

650 millions de jeunes sont à la recherche d’opportunités en Afrique. Il y en a 150 millions sans emploi : c’est une bombe à retardement. Or ces opportunités existent : les décideurs africains se déclarent prêts à changer leur stratégie pour attirer les talents.

Pour EDACY, auparavant le pouvoir, c’était le savoir. Aujourd’hui, le pouvoir, c’est l’application du savoir. Mais le système ignore encore trop l’importance du transfert de compétences et de l’accompagnement par des professionnels. Depuis un an et demi, Edacy propose un parcours à des candidats sélectionnés qui ont accès aux cours des meilleures écoles (exemple, l’école polytechnique de Lausanne) pour une petite partie théorique, et accès aux entreprises de leurs écosystème ou en dehors (Expresso, Unesco, Agences gouvernementales..) pour une longue partie pratique. Un système qui porte ses fruits.

40% des inscrits aux MOOCs sur terre sont africains

Bonus chiffre : 40% des inscrits aux MOOCs sur terre sont africains. On saisit bien l’enjeu de produire des contenus en français … et celui de la propriété intellectuelle dans le numérique, un réel problème au Sénégal.


Quelques entrepreneuses et entrepreneurs croisé.e.s au Forum

Cap Digital bien en place à Dakar 😉

On ne peut pas passer sous silence nos deux brillants adhérents de Cap Digital, pitchant à 5 200 km de l’Ile-de-France pour un panel « identité, créativité, contenus à l’ère du numérique ». Surprise de les retrouver là … mais pas si surprenant!

Yvon Lagoutte (et Séckou Sané pour le Sénégal) a présenté YouScribe  , la plus grande bibliothèque francophone sur téléphone mobile, qui s’appuie sur un constat économique simple: l’Afrique regroupe plus de la moitié des 270 millions des francophones mais représente moins de 4% des recettes des éditeurs en français à l’étranger. La start-up poursuit son développement à Abidjan.

Quant à Deedo, notre plateforme de streaming musical préférée panafricaine: elle a permis l’une des rares femmes sur scène du Forum! #fierté.  Awa Diop Girard propose de mettre en avant des courants musicaux africains, ignorées des megaplateformes concurrentes, et double le service d’une dimension RSE. Culture, identité, territoire.

Oumar Basse, 27 ans, une grande classe et deux start-up.

Nous avons croisé l’élégant Oumar lors d’une quête éperdue pour trouver les tickets repas du déjeuner. Une heure d’attente de la préposée auxdits tickets et d’errance dans les couloirs de l’hôtel, et nous savions tout de ses deux start-up jeunes et déjà redoutablement efficaces. La première, Nanoairtech, équipe les agriculteurs d’objets connectés comme la Widim pompe qui se gère simplement directement par sms ou touches pré-enregistrées, palliant les manques liés à internet ou l’alphabétisation. La seconde, Yobanté express, est une plateforme de livraison de colis qui s’appuie sur les trajets des gens déjà motorisés, particuliers ou professionnels. Oumar est un fin analyste des usages traditionnels de la société sénégalaise, et ses services contournent naturellement les freins tels que la localisation approximative des adresses ou l’illettrisme (on envoie par sms la photo du bâtiment, on enregistre un message vocal sur what’s app). Et question financement c’est bien simple : la première a financé la seconde.

Dicko assure un futur à l’agriculture

Dicko est la cofondatrice de Dictaf Corporation. Diplômée en sciences agronomiques, elle s’est vite spécialisée en production végétale afin de voir comment participer à la hausse des rendements de récolte pour conduire le pays à l’autosuffisance alimentaire. Particulièrement sensible à l’implication des femmes dans le processus de développement, Dicko encourage les filles à se lancer dans entrepreneuriat dans le secteur agricole. Son entreprise aide les agriculteurs à mieux gérer leur production, avec différents services dont un de reconnaissance d’image pour aider à vaincre les maladies des plantes.

Deux des réseaux / incubateurs de Dakar

Teranga Tech ,partenaire de l’évènement, est à l’initiative d’Adrien Schwarz du MEAE. Ses membres fondateurs sont issus de l’écosystème numérique : Sonatel, Jokkolab, Niokobok, Simplon, l’IRD, Orange Venture, Wirimma… Cette communauté se veut à la fois une vitrine de l’écosystème tech franco- sénégalais mais aussi un instrument d’appui aux projets de start-ups, tout particulièrement dans les domaines de l’éducation, de l’industrie culturelle et créative ou encore de l’économie sociale et solidaire.

CTIC est elle une structure à la fois accélérateur et incubateur pour 50 start-up par an environ depuis 7 ans. Son programme JambarTech LAb accompagne des entreprises d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale dans le développement d’un produit digital innovant et pouvant être répliqué dans plusieurs pays.

Conclusion

  • Un rendez-vous assez institutionnel et universitaire, pas assez participatif, où les experts se succèdent dans les panels : comme m’a dit un entrepreneur, la culture sénégalaise est encore fort hiérarchique, et mêle peu les points de vue, ce qui est dommage au regard des problématiques en jeu. Mais l’initiative a le mérite de mettre la lumière sur des enjeux autant économiques que politiques et culturels, et a l’intention de placer Dakar comme fer de lance de ce chantier.
  • Autre nuage dans le ciel sénégalais… la très faible proportion de femmes dans les intervenantes (4 sur 54 dans le programme officiel…) Les femmes africaines ne sont pas « que » intéressées par le numérique, comme cela a pu être dit dans une conférence, elles sont surtout totalement parties prenantes de cette révolution, dans le secteur informel comme dans les postes les plus experts. Qu’on leur donne la parole !
  • Malgré ces deux bémols, un événement riche en networking et en ambition. Mention spéciale à Mbaye Thiam, le président du comité scientifique, ancien ministre de l’éducation, précis, rassembleur, drôle et chaleureux. L’énergie et la diversité des jeunes entrepreneurs du Village de l’innovation laissent entrevoir une relève active: on leur espère un public bien plus nombreux lors de la prochaine édition.
  • Fun fact : cela fait bizarre de n’entendre aucun anglicisme ou buzzword dans une conférence sur le numérique 😉 Facile du côté des universitaires, moins du côté de Simplon ou d’Edacy. Le glossaire du numérique est un chantier à part entière pour la francophonie … et le wolof ?

* Futur.e.s in Africa 2019? C’est à suivre très prochainement sur notre blog et nos réseaux sociaux. Restez connectés!

 

 

 

 

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